Rozen de KERANGAL-TOURNEMIRE a soutenu, en 1999, à l'Université de Reims, une thèse de doctorat intitulée Un mouvement de Jeunesse entre Révolution nationale et Résistance : les Compagnons de France 1940-1944, sous la direction du professeur Maurice Vaïsse Actuellement, elle poursuit ses recherches sur le colonel Guillaume de Tournemire, et écrit pour divers ouvrages et revues.

Autres documents sur les Compagnons de France

Tournemire, ou le choix de l'ambivalence pour les Compagnons de France

Le mouvement Compagnons de France (CdF) voit le jour au cours de l'été 1940 sous l'impulsion d'un jeune inspecteur des Finances de 28 ans, Henry Dhavernas.

C'est le constat d'une jeunesse livrée à elle même pendant l'exode et multipliant les actes illégaux qui fait prendre conscience à ce commissaire national des Scouts de France (depuis septembre 1939) de la nécessité de créer un mouvement nouveau, capable d'encadrer des jeunes venus de tous les milieux sociaux, de les occuper dans des travaux d'intérêt collectif afin qu'ils participent à la reconstruction matérielle et morale du pays.

Le mouvement CdF Aidé de responsables de mouvements existants, laïcs ou confessionnels, comme les Auberges de la Jeunesse, les Patronages et surtout l'Association Catholique de la Jeunesse française, Dhavernas affine son projet en proposant une pédagogie basée sur la formation totale (physique, morale, culturelle et intellectuelle) d'hommes complets et en mettant en avant l'apolitisme et la laïcité de son mouvement.

Le 14 août 1940, l'association dite des " Compagnons de France " est donc inscrite au Journal Officiel. Installée à Lyon, et ne fonctionnant qu'en zone sud, elle peut compter à cette date sur l'accord de principe du maréchal Pétain et sur son appui matériel ainsi que sur celui de nombreux ministères au premier rang, des-quels on trouve les Affaires étrangères, la Jeunesse et le Travail, ainsi que la Défense nationale.

Pour les CdF l'année 1941 aurait pu être celle de la mise en pratique de l'ensemble des principes définis à l'été et à l'automne 1940 et de l'entrée en fonction d'une maîtrise désormais fixée dans ses nouveaux objectifs : la formation de jeunes adolescents et celle de leurs équipes d'encadrement. Or, une série de faits en décide autrement. Dhavernas, rendu indisponible par des contraintes professionnelles qui le retiennent à Paris, voit son autorité contestée. La maîtrise nationale des CdF lui reproche des maladresses politiques, des contacts hasardeux avec certains milieux collaborationnistes et un esprit de recherche idéologique dangereux pour un mouvement attaché à sa vocation éducative et soucieux de préserver les jeunes dont il a la charge de tout débat concernant la place de la France par rapport à son occupant. Le début de l'année 1941 est donc marqué par une crise au sommet des CdF, au cours de laquelle le départ de Dhavernas est envisagé.

Ce n'est qu'en mai que cet épisode connaît son dénouement avec la nomination de Guillaume de Tournemire à la tête du mouvement. qui prend alors un nouvel élan après précision de ses objectifs éducatifs et idéologiques. L'arrivée de cet officier de l'armée de Terre en congé d'armistice, homme d'action à la personnalité forte et séductrice, va constituer un élément déterminant de l'histoire du mouvement compagnon. L'indépendance financière et politique par rapport au gouvernement, Qu'il exige pour son mouvement, et sa personnelle allégeance au maréchal Pétain posent les bases de l'ambivalence d'un mouvement qui, dans sa globalité, restera attaché aux grands principes de la " Révolution nationale " tout au long de la période, mais dont nombre de ses membres n'hésiteront pas à promouvoir un esprit de résistance civile avant, pour certains dont Tournemire, d'endosser de nouveau le rôle du combattant en prenant part à des activités de renseignement dans un réseau : les Druides.

A partir de l'arrivée de Tournemire, l'histoire des CdF va être jalonnée par des conflits multiples avec le gouvernement de Vichy hostile à subventionner un mouvement qui se refuse à faire la promotion de sa politique, voire qui en conteste bien des points. La fréquence des différends, souvent arbitrés par le maréchal Pétain lui-même, va se solder par la dissolution du mouvement, privé de fonds pour subsister, en janvier 1944.

L'objet de notre étude va être d'analyser tout d'abord les circonstances de l'arrivé, de Tournemire à la tête des CdF en 1941, pour ensuite nous interroger Sur le sens de cet événement et sur son influence sur l'histoire du mouvement, notamment concernant ses rapports avec Vichy et les formes de son engagement dans la Résistance. Pour cela, nous avons étudié quatre types de documents :

Lorsque l'on étudie la genèse du mouvement CdF, on remarque que son souci d'être opérationnel dès l'été 1940 l'a conduit à adresser un appel à l'intention de toutes personnes favorables à ce que des l'initiatives dans le domaine de l'encadrement de la jeunesse soient menées. Pour cela, Dhavernas réactive son réseau de relations qui n'est pas des moindres puisque cet Inspecteur des Finances, passé par " Sciences-Po ", est membre actif des Scouts de France ainsi' que chef de cabinet de Paul Baudouin - ministre des Affaires étrangères depuis le 16 juin 1940. Tant dans les milieux de la jeunesse que dans ceux de la politique, il connaît de nombreuses personnalités susceptibles d'être séduites par son projet de mouvement de jeunesse fédérateur, sensé symboliser la recomposition possible de la société française sur des bases communautaires. Il n'hésite pas à solliciter l'aide du Général Weygand (Weygand participe en 1937 au cercle Fustel de Coulanges qui mène une réflexion autour du thème " Comment élever nos fils ? - et est particulièrement attaché à la notion de " rôle social des officiers , dont il connaît l'intérêt pour les questions d'éducation.) C'est ainsi que celui-ci offre à Dhavernas l'appui logistique des services télégraphiques et postaux des Armées en lui délivrant plus de 500 " télégrammes 'aunes " qui permettent d'entrer en contact avec ceux qui pouvaient être démobilisés pour participer à l'encadrement du nouveau mouvement. lis constituent une aide précieuse dans la mesure où Dhavernas seul aurait été dans l'impossibilité de localiser ceux à qui il voulait faire signe. . Les appels lancés par Dhavernas ne sont pas restés sans réponse.

La rencontre de Randan, qui a lieu du 1er au 4 août 1940 pour élaborer, publiquement et en concertation avec les organisations de jeunesse existantes (politiques, laïques, confessionnelles ou autres) et les représentants de l'État les objectifs du nouveau mouvement, est un succès. Elle porte néanmoins en germe les difficultés futures du mouvement CdF qui aura bien du mal à gérer l'éclectisme en vigueur dans sa maîtrise.

Après la parution, dans les colonnes de l'hebdomadaire Compagnons, d'articles au ton revendicateur rédigés par des personnalités connues pour leur activisme politique passé (Il s'agit d'articles de Jean Maze. ancien cadre des Jeunesses Socialistes, et de Louis-Emile Galey, ancien journaliste à La Flèche, hebdomadaire dirigé par Gaston Bergery.) certains membres de l'état-major compagnon attachés à préserver la dimension éducative et sociale des CdF redoutent une politisation du mouvement.

Ces inquiétudes ont probablement été ravivées parles débats autour de la notion de mouvement unique qui animent les milieux de la jeunesse début 1941 (Tetard (F.) : " Jeunesse unique : autour de quelques discours ", in Education populaire, Jeunesse dans la France de Vichy 1940-1944, Les Cahiers de 1'Animation, INEP. 49-50, avril 1985, D. 107-114.) Ce contexte explique le tollé suscité par les rumeurs de contacts entre Dhavernas et Gaston Bergery, Pierre Laval ou Marcel Déat. Si Dhavernas a toujours contesté s'être entretenu avec ces personnalités politiques et si les documents d'archives se contredisent sur cette question (Plusieurs documents se contredisent : Rapport Puel, Vichy, 17.02.1941, AN, F7/15313 et Francs (X) ), ne pouvant apporter une réponse positive ou négative, il faut convenir que Dhavernas aurait commis un certains nombre de maladresses verbales auprès de responsables compagnons, qui l'auraient rendu indépendant à la tête d'un mouvement qui se voulait apolitique, bien que porteur des grands principes de la " Révolution nationale ".

C'est donc avec une détermination certaine que les membres de la maîtrise nationale des CdF affirment avoir voulu se séparer de Dhavernas. En février 1941, un triumvirat assure l'intérim à la tête de l'association, composé de André de Knyff (représentant du mouvement), Michel Dupouey (représentant du Secrétariat général à la Jeunesse) et Albert Gortais (de l'Association Catholique de la Jeunesse Française, fortement représentée au sein des Compagnons de France). Pendant trois mois, ce triumvirat va procéder à des tractations auprès du gouvernement pour obtenir des subventions, mener à bien le développement du mouvement et tenter de trouver un chef pour celui-ci. Sur cette dernière question, le bras de fer avec le gouvernement va être particulièrement difficile. Les trois hommes se sont fixés comme principe d'exclure toute personne qui ferait des démarches à Vichy et de recruter un homme attaché à l'éducation et capable de " tenir " dans une période particulièrement difficile. Or, un homme va se présenter avec le soutien de Dhavernas et l'appui du gouvernement : Armand Petitjean. Proche de Paul Marion et en bons termes avec Drieu la Rochelle, Petitjean est favorable à un, encadrement autoritaire de la jeunesse et à la recherche d'un "socialisme viril" (Comte (B.) : Une utopie combattante. L'Ecole des Cadres d'Uriage 1940-1942, Paris, Fayard, 1991, p. 348.), une idéologie qui ne correspond guère avec celle véhiculée par la maîtrise compagnon. Le combat de cette dernière va donc consister à s'opposer à cette candidature, en en proposant une autre.

Louis Garrone, directeur de la Jeunesse, cite alors le nom de Guillaume de Tournemire comme possible recrue. Une idée soutenue par le R.P. Maydieux, dominicain, soucieux de maintenir l'emprise des catholiques sur le mouvement. La maîtrise compagnon se renseigne alors auprès de l'Ecole nationale des cadres d'Uriage sur l'opportunité du choix d'un tel candidat. A Uriage, on le dit " homme d'une classe incontestable [qui] a l'intuition des hommes et des situations, une envergure au-delà de celle du " très beau militaire " (Hervet (R.) : Les Compagnons de France, Paris, éd. France Empire, 1965, p.114.).

Quant à Tournemire, il accepterait les responsabilités de Chef Compagnon sous deux conditions : celle de ne pas faire lui-même acte de candidature ; celle de garder les mains libres et, s'il venait à être élu, de ne se sentir attaché par aucune ligne doctrinale, d'où qu'elle vienne. Fort des quelques références et de la fermeté de Tournemire, le triumvirat présente, le 18 mai 1941, au cours de l'assemblée générale des CdF, sa candidature. C'est cette dernière qui recueille la majorité des suffrages face à celle de Petitjean.

Après son élection, Tournemire exige de tenir sa nomination du maréchal Pétain en personne et d'aucun autre membre du gouvernement. Ce style " féodal ", qui caractérise, jusqu'à la fin des hostilités, les rapports entretenus entre le chef de l'Étel et celui du mouvement compagnon, illustre de la façon la plus claire l'idée, présente dans l'esprit de Tournemire, selon laquelle il existe une dissociation entre le maréchal Pétain et son gouvernement.

Guillaume de Tournemire

Guillaume de Tournemire est né en 1901, à Tours, dans une famille de souche auvergnate, comptée parmi les plus vieilles familles de France. La tradition militaire est bien présente dans cette famille où le père est officier de cavalerie et où l'un des frères deviendra lieutenant de vaisseau. Il entre à Saint Cyr en 1920. Sa promotion est celle de " la Devise du Drapeau " (1920- A l'issue de l'école, il choisit la cavalerie et rejoint ainsi le 13e Dragons à Saumur, puis les Spahis en Algérie.

En 1924, il participe aux Jeux Olympiques de Paris, en pentathlon moderne, où l'équipe française, confrontée à quatorze nations, obtient la médaille. d'argent. Tournemire recevra, pour cet exploit réalisé en équipe, une lettre de félicitations du ministre de la Guerre.

En 1925, il débarque au Maroc, à Casablanca où il est affecté au 23e Spahis. Il y rencontre Lyautey avec qui il lie des relations de disciple à maître, et dont il se nourrit de l'esprit éducatif et de l'intérêt pour la formation humaine. Nous percevrons à travers l'itlnéraire emprunté par Tournemire l'importance de cette rencontre. La campagne du Rif donne à Tournemire l'occasion de s'illustrer comme un officier hors pair. C'est au cours de cet épisode de l'été 1925 qu'il rencontre le maréchal Pétain, envoyé sur place pour organiser une action concertée des armées française et espagnole afin de venir à bout de la résistance des Rifains. E

n 1926, il demande à être affecté au service des Renseignements du Maroc, qui prend en 1927 le nom de Service des Affaires Indigènes. Il pense ainsi " pouvoir satisfaire pleinement son goût de l'action indépendante [en entrant] dans un cor corps où une large initiative est laissée à ceux qui, dans les postes de l'avant, doivent accomplir une tâche passionnante, l'action politique y primant souvent sur l'action militaire " (Promotion de la Devise du Drapeau, Hommage à Guillaume de Tournemire, 1970). Il assume, à cette fonction, " un poste des plus durs du Sud marocain " qu'il parvient à pacifier en interdisant presque complètement aux dissidents l'accès à la zone confiée à son commandement (Citation à l'ordre de la colonne, 15.05.1928, dossier officier G. de Tournemire.). On lui attribue le nom arabe de " Hakern ", c'est-à-dire " arbitre ", du fait de ses nombreux combats pour établir l'ordre dans les confins algéro-marocains. Il sera cité à cinq reprises aux différents ordres, de la colonne, de la division et de l'armée pour s'être opposé à l'ennemi et l'avoir vaincu. Il est considéré par ses supérieurs comme un officier " ardent, énergique et brave "), un officier " de choix, très allant et d'un courage exceptionnel " (Citation à l'ordre de la division, 28.11.1928, dossier officier G. de Tournemire). Sous les ordres du capitaine de Bournazel, en 1931, Tournemire sera l'auteur d'un fait d'armes reconnu, qui lui vaudra blessures, citations et décoration : il affronte en combat singulier un chef de la dissidence marocaine, réputé puissant et dangereux, qui sera tué à l'issue du duel.

En 1932, il rentre en France pour suivre les cours d'instruction à Saumur, au terme desquels le maréchal Lyautey lui propose de devenir son officier d'ordonnance. Il refuse. Passionné par la mécanisation de la cavalerie, il préfère s'y consacrer et entrer dans une division mécanisée.

En 1934, il se marie avec Magdeleine de Montesquieu qu'il emmène au Maroc deux ans plus tard. Là, ils incarnent ensemble " une France respectueuse des religions et des coutumes " :("Un Patron ", in Revue du CNPF, août 1970, p. 36-37).

En 1939, il entre à l'Ecole supérieure de Guerre. Lorsque le second conflit mondial éclate, il est au 4e Cuirassier à Reims, avant d'être nommé, le 20 janvier 1940, chef d'état-major de la 6e demi-brigade légère mécanisée.

Lors de l'offensive allemande de mai 1940, il doit, comme la majeure partie de l'armée française, reculer devant l'ennemi. Lorsque les hostilités prennent fin, il se trouve à Tarbes.

La signature de l'armistice voit la création d'une armée nouvelle, aux effectifs réduits. Bien qu'affecté comme capitaine au 2e régiment de hussards, Tournemire préfère répondre favorablement à la proposition que lui fait le nouveau Secrétariat à la Jeunesse : celle d'inspecter les Chantiers de la Jeunesse, créés quelques mois plus tôt par le général de La Porte du Teil Tournemire n'assume cette mission que quelques mois, puisqu'en novembre 1940, Georges Lamirand, en charge des administrations de la Jeunesse, lui propose de s'occuper des étudiants parisiens, durement réprimés lors de la manifestation anti-allemande du Il novembre sur les Champs-Elysées. Ainsi, avec l'aide de ses amis, un Alsacien, Pierre de Turckheim, et un Lorrain, Pierre de Chevigny, il s'attelle à la lourde tâche de restaurer le calme chez les étudiants, désabusés et révoltés par la présence allemande et les restrictions qu'elle occasionne. Installé en plein cœur du Quartier Latin, rue Soufflot, Tournemire entreprend un travail qui nécessite de sa part une ouverture d'esprit, une capacité d'adaptation et un effort de compréhension vis-à-vis d'un milieu qu'il ne connaît pas et qui contraste fortement avec sa personnalité d'homme d'action, voire de " baroudeur " : celui de la jeunesse étudiante. La différence de mentalité qui existe entre un militaire de carrière de 40 ans et des étudiants n'empêche pas Tournemire de mettre tout en oeuvre pour leur venir en aide et mener à bien la mission qui lui est confiée, ni les étudiants d'apprécier l'action et la personne de Tournemire. A l'actif de ce dernier, nous pouvons évoquer de nombreuses innovations dans l'Université. Outre l'heure et demie de sport par semaine imposée dans les facultés, et un travail pour y promouvoir des sections d'enseignement technique,, la principale création de Tournemire est le Service des Etudiants Parisiens. Cette nouvelle structure a pour buts " l'entraide matérielle des étudiants et leur formation morale et civique "12. Elle propose donc aux étudiants une assistance sociale et économique (restaurants universitaires, foyers d'étudiants appelés aussi Maisons de Facultés, aides pour la recherche de logements ou d'emplois à temps partiel, aides financières aux plus nécessiteux) doublée d'une formation civique au moyen de conférences ou de débats assurés par des professeurs de l'Université . Cette formation vise à " leur développer les qualités de coeur et de caractère, et à faire naître la communauté "(Note sur le Service des Etudiants Parisiens, décembre 1942. AN. 2AG/440) ; elle se situe dans la perspective du redressement moral de la jeunesse, voulu par le gouvernement, mais elle exclut impérativement toutes les questions liées à la politique de collaboration, dans un souci de calme entre les étudiants et les autorités d'occupation.

Tournemire ne reste pas longtemps à ce poste où pourtant il est très apprécié des étudiants, puisqu'il est appelé en mai 1941 à la tête des CdF dans les circonstances que nous avons précisées. Ce nouveau cadre semble mieux convenir à sa personnalité. La jeunesse populaire, puisque c'est surtout elle qui n'est pas encadrée avant guerre et qui adhère aux CdF, le séduit, tout comme le caractère apolitique de l'organisation.. Tournemire pense être apte à assumer les responsabilités de Chef Compagnon compte tenu de son expérience militaire : " Le métier d'officier des renseignements indigènes est une bonne école. Très jeune on a des responsabilités militaires et administratives. Il faut rallier à la France des régions insoumises et cela pacifiquement si possible.

Le rôle du Chef Compagnon n'est pas très différent. Il s'agit cette fois de faire comprendre la France à des jeunes Français que la défaite a déracinés, de leur donner le sens de la Patrie, la confiance en ses destinées, la fierté d'être Français" (Tournemire (G. de) : Discours, Lyon, septembre 1941, in Compagnons, no 51, 04.10.1941) Par ailleurs, Tournemire est attiré par la zone libre, d'où les Allemands sont absents jusqu'en novembre 1942. Les qualités de meneur d'hommes de Tournemire vont trouver aux CdF un terrain d'expression favorable.

A Saint-Cyr déjà, il se comporte comme " comme un véritable boute-en-train sachant, malgré la vivacité de ses réparties, se faire des amis qui lui restèrent toujours fidèles" (Promotion de la Devise du Drapeau, Hommage à Guillaume de Tournemire, 1970) Au Maroc, il affirme son autorité tout en parvenant à se faire aimer de la population indigène : " Les guerriers marocains avaient créé une espèce de légende autour de lui, des chansons le célébraient " (Entretien avec Pierre de Chevigny, Paris. 05.02.1994). Le contact avec ses hommes est un élément de première importance. Quelles que soient ses responsabilités, il semble vouloir être un chef parmi ses hommes et non pas au-dessus d'eux. Respectueux de cette tradition militaire. il l'exprime partout où il passe.

En arrivant aux CdF, il insiste pour se faire connaître des jeunes et de leur encadrement et entame une " tournée des provinces " pendant l'été 1941, durant laquelle il se déplace à travers la zone sud pour se présenter aux membres du mouvement. Il publie également des articles dans la presse compagnon : entre le 6 septembre 1941 et le 8 août 1942, il signe pas moins de douze papiers. Il apparaît fréquemment en photos, seul, en famille, ou encore aux côtés du Maréchal ou de responsables des administrations de la Jeunesse. Une attitude qui contraste avec celle de Dhavernas qui avait limité son intervention auprès des jeunes à des " mots d'ordre " mensuels publiés dans la presse compagnon destinée à la formation des chefs.

Le mot qui revient souvent dans les témoignages que nous avons recueillis est celui de " séduction ". En effet, Tournemire était un homme séduisant par son physique, ses réactions imprévues et sa simplicité. Ses enfants se souviennent de lui montant des escaliers sur les mains (Entretien avec Alain de Tournemire, Paris, 1995) ! André Aumonier, jeune responsable de la Jeunesse à Paris en 1940, a f ait la connaissance de Tournemire au début de la guerre. Il le décrit de la façon suivante " C'était le militaire plein vent, avec la tête magnifique qu'il avait, il était sensationnel ! ". Il dit avoir été " véritablement séduit par Tournemire " et s'être " embarqué " dans les Compagnons de France " avec un accrochage affectif cent pour cent à un homme "(Entretien avec André Aumonier, Paris. 12.04.1994). Il n'est pas le seul, car Pierre de Chevigny, qui travaille avec Tournemire au Service des Etudiants Parisiens, déclare être venu aux CdF " car c'était Tournemire : quand on a la chance d'avoir un gars comme ça, on n'allait pas en chercher un autre ! " (entretien avec Pierre de Chevigny). Quant à Jean-Marie Despinette et Michel Deltombe, préposés à la définition du projet pédagogique des CdF , ils mettent tous deux l'accent sur la simplicité des rapports que Tournermire entretenait avec autrui et sur la sécurité que son autorité leur procurait (entretiens avec JMD et MD). Ces témoignages, provenant de personnes venues d'horizons multiples et assurant dans le mouvement des responsabilités fort différentes, rendent compte de l'unanimité que Tournemire avait su établir autour de lui.

Le deuxième trait essentiel de la personnalité de Tournemire est celui d'être un homme d'action, un pragmatique. Que ce soient les historiens ou les témoins, tous s'accordent à dire que ce n'était pas un intellectuel. Tournemire manifeste même un certain anti-intellectualisme qui se traduit notamment par un refus de la réflexion et du débat politique. Ce refus s'explique par le fait que Tournemire appartient à une génération d'hommes pour qui la politique politicienne, les débats idéologiques ont été incapables, dans l'entre-deux- guerres, d'enrayer la monté des extrémismes en Europe et la contestation sociale en France. C'est cette incapacité du politique à -répondre aux besoins des populations qui porte selon lui les responsabilités de la défaite de juin,1940.

Les témoins de l'anti-intellectualisme de Tournemire l'ont souvent évoqué avec humour. Pierre de Chevigny évoque en riant un discours de Tournemire qui aurait été écrit par Louis Garrone, professeur de philosophie, et auquel l'orateur n'aurait pas compris grand choses Jean-Marie Despinette se souvient de l'attitude de Tournemire vis-à-vis de ceux qui réfléchissaient aux questions de formation professionnelle, d'éducation populaire et de pédagogie. Tous faisaient partie de " la bande d'intellectuels qui lui foutaient mal à la tête ! ". (Entretien avec Jean-Marie Despinette, Paris, 14.02.1994 et Michel Deltombe, Paris. 06.04.1994).

Outre le caractère anecdotique de certaines de ces remarques, elles laissent entrevoir un personnage qui, selon Bernard Comte effectuant un parallèle avec le vieux Chef d'Uriage, est " rebelle aux discussions d'idées [et] n'a ni les ouvertures intellectuelles, ni les ambitions de synthèse de Segonzac " (Comte B. : Une utopie combattante, L'Ecole des cadres d'Uriage 1940-1942, Paris, Fayard, 1991, p.348).. Dans ses choix, Tournemire se réfère à la tradition militaire, familiale et à sa foi catholique. Il est en effet un catholique fervent : Chevigny parle de " sa foi indéracinable et ouverte " (Entretien avec Pierre de Chevigny, Paris, 05.02.1994). et Deltombe de " sa foi imbattable " (Entretien avec Michel Deltombe, Paris, 06.04.1994).

L'ensemble de ces éléments qui constituent le portrait de Guillaume de Tournemire aide à mieux comprendre les options qu'il a prises. leur permanence, voire leur rigidité notamment concernant son maréchalisme inconditionnel qui perdure jusqu'à la fin des hostilités, alors même qu'il a fait le choix de la dissidence dès novembre 1942. Une obstination, probablement le fruit d'un défaut d'analyse politique, qui ne l'a pas empêché d*opter pour une résistance efficace au sein des Druides.

A la tête des CdF, comment Tournemire, doté des traits de caractère que nous venons de décrire, a-t-il marqué le mouvement CdF ? Tout d'abord, en laissant une large marge de manœuvre à tous ceux qui, dans l'association CdF, étaient soucieux du développement total de la personnalité de chacun, leur permettant ainsi de mener une large réflexion sur des thèmes aussi divers que le folklore régional, le théâtre populaire, la culture sportive selon la méthode Hébert, l'artisanat. Les CdF ont pu ainsi donner naissance à un véritable projet de formation personnelle aux métiers manuels et artisanaux, à une troupe de théâtre appelée " les Compagnons du Tour de France " et à un groupe d'expression musicale : " les Compagnons de la Musique ".

Si Tournemire a approuvé toutes ces initiatives, il ne s'y est pas impliqué véritablement. Il avait effectivement des responsabilités administratives lourdes, au premier rang desquelles nous trouvons celles de faire vivre le mouvement et de lui obtenir des subventions. Ses rapports avec les autorités de Vichy ont donc été nombreux et souvent houleux. Sa détermination à ne pas débattre, à l'intérieur du mouvement, des questions ayant trait à la politique de collaboration engagée par le gouvernement est à l'origine des réticences de ce dernier à financer les CdF. A ce titre, l'attitude de Tournemire lors d'une réunion des cadres de la Jeunesse, qui se tient à Paris début août 1942, est tout à fait éloquente. Le compte rendu de ces journées (Compte rendu des journées des 2-4 août 1942, 08.08.1942, AN, F7/15146 Compte rendu des journées des 2-4 août 1942, 08.08.1942, AN, F7/15146) témoigne de l'attitude réfractaire et opposante de Tournemire menant un groupe de " démocrates chrétiens revanchards ", multipliant les conciliabules, les ricanements à l'issue de discours prononcés par Pierre Laval et Abel Bonnard.

Le comportement de Tournemire apparaît inacceptable aux membres du gouvernement en charge des problèmes d'éducation et de jeunesse. Ceux-ci vont alors engager une véritable bataille avec Tournemire d'une part, pour lui supprimer ses subventions, et avec le maréchal Pétain d'autre part, pour que celui-ci cesse d'apporter son soutien moral à un mouvement qui refuse de se faire le porteur des deux grands axes de la politique gouvernementale que sont la collaboration et l'antisémitisme. Une position qui porte en elle une double responsabilité :

La Résistance dans le mouvement CdF a pris différentes formes du fait des positions personnelles de Tournemire, mais également d'un certain nombre de contraintes imposées par la nature même du mouvement. Les CdF encadrent, pendant leurs loisirs ou dans des centres de formation professionnelle, des jeunes ayant entre 14 et 19 ans. La maîtrise nationale du mouvement est composée d'hommes un peu plus âgés, entre 25 et 35 ans.

Cette configuration peut expliquer la détermination de leur chef à ne pas exposer les jeunes qui lui sont confiés à des choix dangereux dans la Résistance. " On n'a pas le droit de jeter les gosses qui nous sont confiés dans un domaine de guerre où le danger est permanent. On ne nous les a pas confiés pour en faire des soldats, mais pour les élever" aurait déclaré Tournemire à Chevigny qui approuve tout à fait la position de son ami. (Entretien avec Pierre de Chevigny, Paris, 05.02.1994)

Ainsi, au nom de la morale et de la prudence, le Chef Compagnon refuse que la plus grande partie de ses recrues entre en résistance active. Et pour ce faire, il impose le silence sur les thèmes qui auraient pu révolter certains jeunes et les conduire à la dissidence. " Le mouvement compagnon s'identifie à la Révolution nationale elle-même en tant que celle-ci est une politique d'arrêt de la course à la mort. Le mouvement Compagnon ne discute ni l'armistice, ni la politique avec l'Allemagne, ni la politique avec l'Angleterre, ni la politique juive : celles-ci répondent à des nécessités de la vie française et non à telle idée personnelle qu'on pourrait se faire de la mission ou de la vocation de la France" (Tournemire : Consignes formulées en décembre 1941, reprises en juin 1942 et répertoriées dans un fascicule début 1943) Ces consignes expliquent l'ambivalence des positions des CdF sur certains thèmes. Elles sont lourdes de conséquences dans la mesure où elles sont responsables de leur absence de réactions devant la politique antisémite du gouvernement.

Michel Deltombe, responsable de la formation de chefs, en témoigne : " Au départ, nous avons été assez mal informés de la politique de Vichy envers les juifs. Personnellement, je n'ai pas été alerté par les mesures anti-juives précoces J'étais perdu un peu loin dans mes camps écoles personnels et je ne lisais pas les journaux tous les jours" (Entretien avec Michel Deltombe, Paris, 06.04.1994).

Néanmoins, le mouvement ouvre ses portes aux Israélites pourlesquels il devient souvent un refuge :  des noms sont camouflés afin de ne pas attirer l'attention de autorités vichystes (Lettre de H. M. au maréchal Pétain, intitulée " Les Compagnons de France, naufrageurs de la jeunesse " , mars 1942, in Papiers H.M).

Parmi les autres questions qui témoigner de la double attitude du mouvement, officielle et officieuse, on trouve celle du STC. Considéré comme " le combat des principe. des mœurs, des caractères ", auquel aucun jeune ne doit se dérober, par l'éditorialiste journal Compagnons, il est l'occasion pour nombreux Compagnons d'entrer en dissidence, tout en demeurant dans le mouvement et en étant couvert par lui. En adoptant une position d'acceptation officielle et d'accueil des réfractaires, l'état-major compagnon veut écarter la menace du S.T.0 . Inquiet de la perspective de voir les jeunes prendre le maquis, parce que convaincu de la politisation extrême des groupes qui le composent, il préfère cacher les requis refusant le S.T.0, tout en incitant l'ensemble à des départs résignés.

Une nouvelle fois, l'attitude du mouvement est double, voire ambiguë. Elle laisse une large place à la liberté individuelle, mais semble toujours vouloir privilégier la légalité pour le plus grand nombre Cette position médiane permet au mouvement de ne pas s'afficher d'emblée dans l'opposition et l'illégalité et ainsi de se préserver de toute répression financière ou policière de la part du gouvernement.

C'est d'ailleurs ce même état d'esprit qui prévaut chez les auteurs d'actes symboliques de résistance. C'est en utilisant le langage du symbole que les CdF vont aussi exprimer leur refus du totalitarisme et affirmer leur volonté de libérer le territoire de toutes ses influences. Devant un tel instrument, l'occupant et l'Etat français rencontrent des difficultés à trouver des " parades ", tant l'aspect dérisoire de l'action symbolique conduit à ridiculiser celui qui s'y oppose, témoigne de son incapacité à changer les esprits et est le signe de son impuissance. Parmi les gestes symboliques fréquemment évoqués par les archives et les témoins, nous trouvons le chant publie d'un hymne patriotique. La Marseillaise entonnée dans un lieu à haute valeur symbolique (type monument aux morts) peut constituer un acte de résistance civile, dans la mesure où il témoigne de la volonté des jeunes qui participent à cette manifestation, d'exprimer l'identité française, dans un contexte où celle-ci tend à être dissoute.

Tournemire semble avoir favorisé ce type d'expressions qui se multiplient à partir de novembre 1942 et qui permettent ainsi une forme de dissidence compatible avec la vie du mouvement. Lui-même n'a-t-il pas utilisé, au cours de l'été 1942, la solennité d'un geste symbolique pour signifier son désir de libérer le territoire français du joug allemand.

Le 25 juillet 1942, lors de la célébration du second anniversaire du mouvement à Randan, en présence du maréchal Pétain et de quelques 7 000 jeunes, Tournemire met le drapeau français en berne en précisant qu'il serait relevé lorsque la France et son empire auraient retrouvé leur intégrités. (Aubert (A.) : " Participation des Compagnons de France à la Résistance, pendant l'occupation allemande ", octobre 1944, in Papiers Aubert). Cet acte symbolique est considéré par certains Compagnons comme un événement majeur de l'histoire du mouvement : le moment où Tournemire aurait signifié clairement où était son campe. (Entretien avec Jean-Marie Despinette , Paris, 14.02.1994).

C'est aussi le moment où il opte pour des formes civiles de résistance et qu'il dicte à l'ensemble de ses troupes la conduite à tenir. Son objectif est de garder le contrôle des jeunes et de leur engagement résistant, s'il en est. Il les cantonne donc dans des actions civiles et symboliques. En multipliant les déclarations anti-gaullistes et anti-communistes, il leur ferme ainsi toutes perspectives d'adhésion à un mouvement ou un maquis quelconque dans la Résistance. Son autorité est telle que rares sont les Compagnons qui s'opposent à cette vision des choses.

Notons cependant que ceux désireux d'en " découdre " avec l'ennemi allemand et qui s'en sont entretenus avec Tournemire figurent pour la plupart parmi les agents du réseau Druides créé en décembre 1942.

Les Druides

Les choix opérés par Tournemire dans la Résistance dépendent non seulement de ses intentions personnelles, mais encore des Potentialités qu'il peut offrir à la Résistance une expérience d'ancien militaire, un réservoir d'hommes au sein de son mouvement dans lequel il peut puiser pour les besoins de l'action résistante et une couverture intéressante de Chef Compagnon qui permet une mobilité géographique essentielle sur l'ensemble du territoire.

Ces atouts n'échappent pas à Georges Lamarque, lui-même membre actif de la maîtrise compagnon, mais aussi du réseau Alliance depuis début 1942. (L'Alliance est un vaste réseau de renseignements créé fin 1940 par Georges Loustaunau-Lacau, ancien militaire démis de ses fonctions en 1938, proche du maréchal Pétain. Il s'associe avec Marie-Madeleine Fourcade-Méric dans la Résistance et entre en relation avec l'Intelligence Service qui financera ses activités. Cf Fourcade (M-M) L'Arche de Noé, réseau Alliance 1940-1945, Paris, Plon 1968 3° ed. 1989).

La personnalité de scientifique, agrégé de mathématiques, intellectuel normalien et homme de gauche, de Georges Lamarque s'oppose sur bien des points à celle de Guillaume de Tournemire. Or, dans la Résistance, les deux hommes vont se réunir autour d'un projet d'action commun : celui d'organiser un petit réseau de renseignements, composé de membres du mouvement compagnon et sensé doubler le réseau Alliance au sud de la Loire et en région parisienne ( R. de Kerangal-Tournemire : " Les Druides. un réseau de renseignement issu des Compagnons de France ", in Des réseaux et des hommes. Contribution a l'histoire du renseignement, CEHD, l'Harmottan, 2000, p. 71- 86).

Les contacts entre les deux hommes sur ce thème ont lieu au printemps 1942. R.Hervet parle de " plusieurs mois avant l'été 1942 " au cours desquels Tournemire et Lamarque " auraient tissé la même toile " (R. Hervet : Les Compagnons de France, Paris , Ed. France Empire, 1965. p. 201).

Pendant l'été 1942, Tournemire entre en contact avec Léon Faye . Léon Faye est un ancien officier aviateur, membre de l'étatmajor de l'Alliance depuis début 1941, ils s'accordent sur le principe de créer à l'intérieur du mouvement une organisation branchée sur l'Alliance (Fourcade(M-M) : Historique succinct du réseau Druides (S.R.) 16.10. 1944, visé par la Direction des Services Spéciaux, le 11.11.1944. Copie in Papiers Aubert) et ayant pour couverture les Compagnons de France. (" Renseignements sur l'Alliance " provenant de la source no 387 (M. Grimpel), 12.05.1944, AN. 3AG2/58)

Le choix du renseignement militaire témoigne de la part de Tournemire de la volonté d'opter pour une résistance armée nécessitant des compétences particulières que seuls des individus - civils ou militaires - ayant une expérience de la guerre classique ou aptes à en comprendre les règles peuvent offrir. Pour lui, la Résistance doit son efficacité au professionnalisme de ses acteurs, d'où son choix pour des hommes expérimentés o capables d'acquérir une formation de type militaire.

Avec le renseignement militaire Tournemire revêt l'uniforme qu'il avait ôt après l'armistice et redevient un combattant régulier. Il se rapproche du général Giraud favorable à une résistance dans le cadre d'un armée française reconstituée dont il prendrai la tête. Comme le précise C. Levisse-Touzé Giraud, il sous-estime l'efficacité des mouvements de résistance qu'il juge trop occupés des questions politiques (Levisse-Touze (C.) : " Giraud et la Résistance intérieure ". in Actes du colloque international du CNRS, La Résistance et les Français, centres et logiques de décision, (Cachan 16-18 novembre 1995), Paris. supplément au Bulletin de I'IHTP. no 1, p. 366-378)..

Giraud et Tournemire possèdent bien des points en commun : leur méfiance vis-à-vis du politique, leur maréchalisme, leur attrait pour les questions stratégiques qui font de la Résistance un problème militaire. Lorsque Giraud prend le titre de commandant en chef civil et militaire à Alger le 5 février 1943, il offre à nombre d'ancien officiers la perspective d'une possible repris des combats.

Le gaullisme n'est donc plus, à partir de ce moment, le passage obligé pour entrer en résistance. Tournemire l'a bien compris et se lance alors plus avant dans le renseignement, édifiant la " pyramide Druides avec son ami Lamarque et distribuant à de candidats " sélectionnés " un rôle à leu mesure et selon les possibilités qu'ils offrent. Les recrues sont avant tout des membres de l'encadrement compagnon ou des proches de cet encadrement ; ils doivent être sûrs du point de vue de la conservation du secret et techniquement utiles. C'est ainsi que la plupart des agents spécialisés dans le renseignement ferroviaire travaillent dans les chemin de fer, ceux préposés au renseignement maritime sont employés dans des chantiers navals ou l'agent fournissant des faux papiers possède de hautes responsabilités administratives dans son département. Ainsi, nombreux sont ceux qui utilisent leurs relations et leur outil de travail pour les mettre au service des Druides.

Le nombre d'agents qui ont adhéré au réseau n'a pas excédé les 200 personnes. Les Druides sont donc un réseau modeste, ce qui n'en diminue pas l'efficacité. Le mode de recrutement y est pour beaucoup et c'est Tournemire qui, là aussi, a imposé sa méthode : une sélection en fonction des besoins du réseau et des qualités des individus, que chaque recruteur doit faire accepter à l'un des chefs du réseau (Tournemire ou Lamarque). Des critères particulièrement importants qui expliquent d'une part la faible proportion de pertes humaines (sur l'ensemble de la période, 16 déportés, 11 morts), d'autre part une certaine amertume de la part de ceux qui n'ont pas été "choisis" et qui pourtant, a posteriori, se seraient sentis capables d'une action clandestine en plus de responsabilités dans le mouvement compagnon (Entretiens avec Jean-Marie Despinette. Paris, 14.0-1.1994 et Michel Dupouey, Paris, 08.06,1994).

En août 1943, Henri de Tournemire, oncle du Chef Compagnon, est arrêté par la police allemande. Il s'a s'agit d'une méprise, c'était Guillaume de Tournemire qui était visé. Ce dernier passe dans la clandestinité mais tient à conserver le titre de Chef Compagnon. Le fait qu'il soit désormais insaisissable va décupler l'hostilité du gouvernement Laval vis-à-vis du mouvement et conduire bientôt à sa dissolution.

Tournemire va confier à l'un de ses "lieutenants", André Aumonier,. membre des Druides également, le soin d'entamer des pourparlers avec Vichy pour sauvegarder son mouvement (A. Aumonier : Un corsaire de l'Eglise. Du patronat chrétien au Secours Catholique, Paris, Fayard, 1996. 337p. et entretien avec André Aumonier. Paris, 12,04.1994).

Des échanges de lettres entre Tournemire et le Maréchal, via Aumonier, s'effectuent au cours desquels Tournemire renouvelle sa confiance dans le chef de L'Etat et souligne sa conviction d'être l'enjeu de différends entre ce dernier et les hommes qui l'entourent.

Le 21 janvier 1944, les Compagnons de France sont finalement dissous. Tournemire et ses Druides poursuivent leur action clandestine. Le général Giraud souligne l'utilité de ce travail minutieux pour la Résistance lorsqu'il rencontre Aimé Aubert, en avril 1944, à Alger. Cette liaison, organisée par Tournemire et Lamarque, a pour but de remettre un plan complet des défenses côtières du littoral méditerranéen et une description de l'arrière-pays, en vue d'un débarquement en Provence ; elle témoigne également de la permanence des positions de Tournemire tout au long de la période, notamment concernant le général Giraud. Son souci de renouveler la confiance et la fidélité qu'il porte à Giraud, alors que la légitimité de celui-ci est contestée par la France libre, apparaît comme le désir d'affirmer un réel choix politique pour un homme qu'il a connu avant guerre et en qui il place encore ses espoirs.

Par ailleurs, une liaison directe des Druides, via un de leurs agents, avec Alger rend compte de la volonté des dirigeants du sous-réseau de marquer leur indépendance et de signifier leur autonomie par rapport au réseau Alliance (rattaché au Bureau central de renseignement et d'action de la France libre dès juin 1943). L'option giraudiste et anti-gaulliste doublée de la confiance de Tournemire dans le maréchal Pétain fait de la résistance " Compagnons-Druides " une démarche teintée d'ambiguïté et d'ambivalence.

Lamarque lui-même qui a utilisé l'énergie des Druides et a mis sa confiance en eux redoutait qu'après la Libération ses camarades résistants ne soient pas reconnus à leur juste valeur pour des raisons politiques. Le destin de Lamarque, fusillé par les Allemands à Luze en septembre 1944, avec deux " Compagnons-Druides " Louis de Clercq et Clément Defer, a permis de souligner le courage et la détermination des Druides. Elevée au titre de Compagnon de la Libération par le général de Gaulle, la personne de Lamarque " sauve " par là même la réputation des Druides et confirme la pureté de leur engagement lorsque certains ne peuvent en percevoir la clarté.

Ce qu'il est important de souligner au terme de ce portrait de Guillaume de Tournemire, Chef Compagnon et Druide, c'est le fait qu'un homme, à la personnalité charismatique et attachante pour les gens qui l'ont côtoyé, a pu orienter, par ses propres choix politiques et idéologiques, déterminés par une éducation et par un parcours professionnel précis, les attitudes de milliers de jeunes Compagnons de France par rapport à la Résistance.

Refusant certaines formes d'oppositions dangereuses, il a incité chacun à utiliser le langage du symbole pour refuser la présence de l'occupant. Dans la Résistance proprement dite, il a préféré le renseignement aux actions violentes, le général Giraud au général de Gaulle, une résistance des " élites " compagnons à celle de la masse des jeunes. Son obstination à ne pas condamner Pétain lui a fait occulter les décisions gouvernementales les plus graves.

A la Libération, Tournemire n'hésite pas à porter la Croix de Lorraine à côté de la Francisque, un geste qui symbolise l'ambivalence de ses choix, sa détermination et son refus de convenir, a posteriori, de la complicité avérée du maréchal Pétain vis-à-vis de l'ensemble de la politique de répression de l'État français à l'encontre des juifs, des résistants à son régime et des opposants. Si Tournemire a témoigné d'un défaut d'analyse politique par rapport à la responsabilité du Maréchal dans la politique générale menée par l'État français entre 1940 et 1944, n'a-t-il pas, en revanche, fait preuve d'une certaine perspicacité en choisissant une action de renseignement militaire dans la Résistance, couvert par l'étiquette du mouvement de jeunesse. Une démarche qui lui a permis de protéger les plus jeunes grâce à la structure hiérarchisée des Compagnons de France tout en faisant appel aux plus motivés, aux plus utiles et aux plus dignes de confiance de ses recrues pour constituer un réseau dont le bilan a été concluant.

Rozen de KERANGAL-TOURNEMIRE a soutenu, en 1999, à l'Université de Reims, une thèse de doctorat intitulée Un mouvement de Jeunesse entre Révolution nationale et Résistance : les Compagnons de France 1940-1944, sous la direction du professeur Maurice Vaïsse Actuellement, elle poursuit ses recherches sur le colonel Guillaume de Tournemire, et écrit pour divers ouvrages et revues.

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