CRÉCY-EN-PONTHIEU (bataille de), 26 août 1346. Guerre de Cent* Ans, France, Somme.

Au début de 1346, en dépit de quelques sérieux revers et de manifestations tangibœs d'impéritie et de tergiversation, nul ne pou­vait dire du roi de France Philippe VI de Valois qu'il était d'ores et déjà le vaincu de la guerre franco-anglaise commencée en 1337. Fort de ses ressources en hommes et en argent, de ses alliances, il conservait une certaine capacité d'initiative. Ainsi le montre le fait qu'il ait envoyé son fils aîné Jean, duc de Normandie (le futur Jean II le Bon), se battre avec une forte armée dans le Sud­Ouest.

 

Alors commença, en mars-avril 1346, sous sa direction, le siège d'Aiguillon, place située au confluent du Lot et de la Garonne. Dans un premier temps, l'adversaire de Philippe de Valois, le Plantagenêt Edouard III, songea à secourir Aiguillon et, d'une manière générale, à protéger son duché de Guyenne, grâce à l'envoi d'un corps expéditionnaire dont il aurait pris la tête. Puis il changea d'avis, à l'initiative d'un grand seigneur de Normandie, banni du royaume de France, Godefroi de Harcourt, qui fit miroiter à ses yeux la richesse et la vulnérabilité de cette proVInce.

Edouard III et son armée débarquè­rent à Saint-Vaast-Ia-Hougue, dans le Cotentin, le 12juillet 1346. Ils se dirigè­rent vers Rouen, par Saint-Lô et Caen, en ramassant un immense butin et en bousculant avec une déconcertante facilité les quelques forces qui s'oppo­saient à leur progression. L'idée du roi d'Angleterre était sans doute dès le départ de gagner le nord de la France et de donner la main à ses alliés flamands. Tactiquement, il s'agissait pour lui de dévaster, de piller, d'incen­dier systématiquement le térritoire:parcouru par ses forces, afin de provoquer la panique, la ruine économique et, plus encore, de montrer aux sujets de Philippe de Valois que celui-ci était incapable de les défendre. L'éventua­lité d'une bataille rangée n'était certes pas écartée.

Ayant atteint la Seine Edouard III ne put la franchir - les ponts étaient coupés - et plutôt que de rebrousser chemin, il en remonta le cours en direction de Paris. Parvenu à Poissy, il fit mine de continuer vers l'est: le roi de France quitta alors Saint-Denis avec ses troupes, leur fit rapidement traverser Paris et les massa à la hauteur de Bourg­la-Reine et d'Antony, afin de garder le passage de la Bièvre et de contraindre le Plantagenêt soit à se battre soit à se reti­rer. Grace à ce subterfuge, Edouard III fit assez, aisément réparer le pont de Poissy et franchir la Seine à son armée, en l'emportant sans peine sur les Amié­nois qui gardaient la rive droite. 11 s'agissait maintenant pour lui de passer la Somme: après plusieurs tentatives infructueuses, un habitant du Vimeu, Gobin Agache, lui indiqua le gué de la Blanchetaque, en aval d'Abbeville: là encore les Français postés sur l'autre rive furent incapables de l'arrêter.

Dès lors, Edouard III se trouvait dans le comté de Ponthieu, un fief dont il estimait qu'il faisait partie de l'héritage de sa mère Isabelle, fille de Philippe IV le Bel. En quelque sorte, il se sentait chez lui. Talonné par les troupes françaises, il décida le 25 août de s'arrê­ter à Crécy et d'attendre calmement l'ennemi. Les deux maréchaux de son armée, le comte de Warwick et Godefroi de Harcourt, accompagnés de Renaud de Cobham, choisirent soigneusement le site.

Le 26 août au matin, jour de la Saint­ Barthélemy, l'armée anglaise, semble­-t-il (car l'identification exacte du site est loin d'être assurée) se mit en place sur un front d'un peu plus de 1 500 m, de direction SW-NE, entre Crécy et Wadicourt. A l'arrière, les Anglais enfermèrent leurs chevaux et leurs bagages dans un « parc » formé par les chariots dételés. Il fut décidé que tout le monde combattrait à pied. Le roi ins­talla son poste de commandement en arrière des lignes de bataille, sur la motte d'un moulin à vent. Il laissa à son connétable et à ses maréchaux le soin de disposer les troupes: à gauche la bataille de son fils aîné, Edouard, prince de Galles, forte peut-être de 800 hommes d'armes, 2 000 archers et 1 000 brigands ; à droite, la bataille du comte de Northampton, avec 500 hommes d'armes et 1 200 archers; en retrait et en réserve, la bataille du roi, qui comptait 700 hommes d'armes et 2 000 archers. En tout, un peu plus de 8 000 combattants. Dans les trois cas, les archers furent placés devant, « en forme de herse » dit Froissart, les hom­mes d'armes « au fond ». Durant la matinée du 26 et le début de l'après­midi, les Anglais eurent tout loisir de se reposer et de se préparer. Leur position (ce que des sources contempo­raines appellent, non sans exagération, le « mont de Crécy») dominait une sorte de dépression, appelée la Vallée aux clercs.

Informé du débarquement en Nor­mandie, Philippe VI de Valois aurait pu, à la rigueur, laisser l'adversaire continuer son chemin sans chercher à le poursuivre ni à l'affronter. Ainsi devait procéder plus tard son petit-fils Charles V. Mais à l'époque, l'opinion n'était pas prête à accepter un sembla­ble comportement. L'on peut penser dès lors que l'intention du roi de France était triple: mettre en défense le plus grand nombre possible de points forts; gagner du temps en bar­rant la Seine puis la Somme àEdouard III; profiter du répit pour rassembler son ost. De fait, il fit jouer ses alliances hors du royaume, recruta au prix fort des mercenaires et convo­qua ses sujets nobles et non nobles. Il put ainsi disposer, en théorie, d'une armée considérable comprenant des milliers d'hommes d'armes, des mil­liers de « communes » fournies par un

assez grand nombre de bonnes villes, des milliers d'arbalétriers génois: sa supériorité numérique était évidente; encore fallait-il qu'il pût l'utiliser à plein.

Le 25 août, au terme d'une poursuite vigoureusement menée, Philippe VI était à Abbeville, à une vingtaine de kilomètres au sud de Crécy. Il passa la nuit du 25 au 26 dans le prieuré cluni­sien Saint-Pierre-d'Abbeville. Il ne savait pas trop où se trouvait l'adversaire. Mais il envoya en reconnaissance quelques­ uns de ses chevaliers qui découvrirent les Anglais et lui rapportèrent que leur position était excellente, en sorte qu'il convenait de ne pas les affronter, du moins dans l'immédiat. Ici deux ver­sions s'opposent: pour l'une, le roi de France se rangea à leur avis mais fut débordé par sa noblesse, impatiente de se battre; pour l'autre, il passa outre aux conseils de prudence, déclara que ce jour-là il serait son propre connéta­ble et maréchal, ajoutant: « Qui m'aime me suive. » De toute façon, Phi­lippe de Valois devait faire la preuve qu'il ne maîtrisait pas la situation.

Le combat commença vers 4 ou 5 h de l'après-midi, après que les Français eurent passé des heures harassantes à s'approcher de Crécy. Il fut ordonné aux arbalétriers génois de s'avancer vers les Anglais. Un orage éclata, suivi d'une pluie violente: plus tard, on raconta que les cordes de leurs arbalè­tes s'en étaient trouvées distendues. Edouard III, pour les impressionner, fit tirer quelques bombardes. Le trait des Génois se révéla inopérant. Alors inter­vinrent massivement les archers anglais. Leurs flèches étaient d'autant plus efficaces que les Génois n'avaient ni annures ni boucliers (ces derniers avaient été laissés avec les bagages, à l'arrière). Ils commencèrent à fuir. Philippe VI crut à leur trahison: il ordonna non seulement d'écarter cette « ribaudaille» mais de la massacrer. Dans la bousculade et la confusion, les hommes d'armes français se mirent alors à charger, au gré de leur initiative.

Informé du débarquement en Nor­mandie, Philippe VI de Valois aurait pu, à la rigueur, laisser l'adversaire continuer son chemin sans chercher à le poursuivre ni à l'affronter. Ainsi devait procéder plus tard son petit-fils. Charles V. Mais à l'époque, l'opinion n'était pas prête à accepter un sembla­ble comportement. L'on peut penser dès lors que l'intention du roi de France était triple: mettre en défense le plus grand nombre possible de points forts; gagner du temps en bar­rant la Seine puis la Somme àEdouard III; profiter du répit pour rassembler son ost. De fait, il fit jouer ses alliances hors du royaume, recruta au prix fort des mercenaires et convo­qua ses sujets nobles et non nobles. Il put ainsi disposer, en théorie, d'une armée considérable comprenant des milliers d'hommes d'armes, des mil­liers de « communes» fournies par un assez grand nombre de bonnes villes, des milliers d'arbalétriers génois: sa supériorité numérique était évidente; encore fallait-il qu'il pût l'utiliser à plein.

  Il y eut des hauts faits, de part et d'autre. Un moment même, la bataille du prince de Galles se trouva en diffi­culté, mais elle fut promptement secou­rue par celle du comte de Northamp­ton. Le combat s'arrêta à la nuit tombée.

Edouard III n'avait pas eu à interve­nir personnellement: il aurait même négligé de mettre son bassinet. De même, pratiquement aucune des « communes» des bonnes villes de France ne prit part au combat. Quant à Philippe de Valois, il se tint à l'écart, volontairement ou non. A un moment donné, cédant peut-être à la pression de son entourage, il quitta la place pour trouver refuge dans le château de Labroye, près de Hesdin: «Ouvrez, ouvrez, châtelain, c'est l'infortuné roi de France » (Froissart).

Le roi d'Angleterre n'osa pas pour­suivre les Français en fuite. Le lende­main matin, ses troupes firent un grand massacre de «communes» qui igno­raient peut-être la « déconfiture» de la veille: Abbeville, Saint-Riquier, Rouen, Beauvais, Amiens. Une bataille de chevaliers, conduite par l'archevêque de Rouen et le grand prieur de l'Hôpi­tal de la langue de France, subit le même sort. Puis Renaud de Cobham, accompagné des hérauts d'armes des deux camps, entreprit de compter les morts et d'identifier ceux d'entre eux qui étaient de lignage noble. Si l'on en croit Froissart, il y aurait eu, dans le camp de Philippe VI de Valois, les vic­times suivantes: 11 princes (dont Jean l'Aveugle, roi de Bohême et comte de Luxembourg), un prélat, 80 bannerets, 1 200 chevaliers d'un écu et 30 000 autres combattants: écuyers, bour­geois, bidauds, Génois, gens de pied. Les pertes anglaises auraient été insi­gnifiantes. Il semble effectivement qu'il y ait eu très peu de prisonniers, soit que dès avant la bataille Edouard III ait ordonné de ne prendre personne ni à rançon ni à merci, soit qu'il ait laissé agir, à son corps défendant, les pillards et les ribauds de Cornouailles et du pays de Galles qui tuaient sans pitié les hommes d'armes mis à terre. Cepen­dant, d'autres sources font état de pertes bien moindres: un témoin anglais parle, pour la journée du 26, de 1 542 morts, sans compter, il est vrai, les fantassins et les gens de communes. Gilles le Muisit mentionne de son côté la mort de 4000 gens de pied et 700 hommes d'armes.

Froissart, pour tenter de saisir le déroulement de la bataille, interrogea des chevaliers des deux camps: Jean Chandos et Barthélemy de Burghersh d'un côté, le sire de Montmorency et l'entourage de Jean de Hainaut de l'autre. Tous furent d'accord pour esti­mer qu'il n'y avait eu ni « convenant "

ni «arroi» chez les Français. Dès le départ la partie était perdue pour Phi­lippe VI. «Ces gens sont nôtres », auraient dit les experts anglais, tandis que les « sages chevaliers de France » se seraient exprimés ainsi: «Nous som­mes partis pour tout perdre, car il n'y a point de bonne ordonnance en nous. »

Dès le 31 août, Edouard III se trouvait devant Calais*, dont le siège commença le 2 septembre. Quant à Philippe VI, il gagna Amiens, puis licencia les restes de son armée, tout en envoyant des troupes à Saint-Orner, Béthune, Boulogne-sur­Mer, Arras, Lille, Douai et Tournai, pour empêcher le pire.

Philippe CONTAMINE