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AZINCOURT (bataille d'), 25 octobre 1415. Guerre de Cent* Ans, France, Pas-de-Calais.

Après son accession au trône d'Angleterre, en 1413, Henri V de Lancastre décide de profiter de la situation de guerre civile qui règne alors dans le royaume de France, où s'opposent les factions armagnaque et bourguignonne, pour reprendre à son compte les prétentions de ses prédécesseurs à la couronne de France.

 

En 1414 et au début de 1415, Henri V négocie, s'efforçant d'obtenir non seu­lement la main de Catherine de France, fille de Charles VI, mais encore la resti­tution de toutes les seigneuries que les Anglais ont perdues depuis le traité de Brétigny-Calais de 1360. Le gouverne­ment royal français alors dominé par le parti d'Armagnac oppose, au nom du roi Charles VI et du dauphin Louis de Guyenne, une fin de non-recevoir aux prétentions anglaises. En juillet 1415, les négociations sont rompues. Aux mem­bres de la dernière ambassade française venue à Winchester pour lui dire une fois de plus que le roi de France lui dénie tout droit à revendiquer sa cou­ronne, Henri V conseille de prendre la mer rapidement en les avertissant qu'il les suivra de près. Depuis le printemps précédent, en effet, le roi d'Angleterre fait des préparatifs en vue d'un débar­quement en France, levant des troupes et réunissant une flotte de guerre. Le 28juillet, tout est prêt. Une lettre de

défi est envoyée à Charles VI. Puis, le Il août, Henri V prend la mer à Ports­mouth, à bord de son navire placé sous le vocable de la Trinité, suivi par plu­sieurs centaines de vaisseaux. L'objectif est alors la Normandie et plus parti­culièrement le port de guerre de Har­fleur situé sur la rive nord de l'embou­chure de la Seine. C'est à quelque distance de Harfleur, au lieu dit le Chef­de-Caux, que s'opère le débarquement.

L'armée d'Henri V est forte de quel­que 12000 combattants, dont environ 2000 hommes d'armes et 6000 archers. Aussitôt, le roi et le duc de Clarence, son frère, vont mettre le siège devant Harfleur. Il s'agit là, avant tout, de neu­traliser un port de guerre et un repaire de corsaires dont les navires sillonnent la Manche au grand dommage des Anglais. La ville est défendue par une petite garnison de 100 lances, bientôt renforcée par Jean d'Estouteville et Raoul, sire de Gaucourt, qui se sont jetés dans la place avec 300 lances. Les deux capitaines français avertissent le gouvernement royal de la situation, mais il leur est répondu que l'ost n'est pas réuni et qu'aucun secours ne peut leur être envoyé dans l'immédiat. L'attaque anglaise, pourtant prévisible, semble avoir surpris tout le monde. Cependant, le connétable de France, Charles d'Albret, et Bernard VII, comte d'Armagnac, viennent harceler l'ennemi, mais, faute d'effectifs suffi­sants, ne peuvent rien faire de plus. La situation dans Harfleur devient vite cri­tique: les canons, bombardes et engins anglais battent la muraille et portent la destruction dans la ville. Sans espoir d'être secourus, après plus d'un mois de résistance, les capitaines français rendent la place, le 22 septembre.

Pour Henri V, la prise de cette ville portuaire qui surveille l'estuaire de la Seine est un atout, mais le siège a été plus long que prévu et lui a coûté cher: son armée est en piteux état du fait, notamment, d'une épidémie de dysen­terie ; de plus la saison est très avancée: l'automne est là et il n'est plus question de marcher sur Paris ou d'entamer la conquête de la Normandie. Mieux vaut gagner Calais à travers le pays de Caux, la Picardie et l'Artois. Le 8 octobre, après avoir établi une solide garnison à Harfleur, Henri V décampe et prend la direction du nord. Mais la durée du siège a permis au gouvernement royal français de préparer la riposte. Une forte armée achève de se réunir autour de Rouen le 8 octobre. Apprenant que l'armée anglaise tente, à marche forcée, de gagner Calais, les capitaines français se lancent à sa poursuite pour tenter de l'intercepter et de l'anéantir. Mais, du côté français, l'union est loin de

régner. Dans un premier temps, les conseillers du roi ont jugé que la pré­sence des chefs des deux partis en lutte, le duc de Bourgogne Jean sans Peur et le duc Charles d'Orléans, au sein de la même armée risquerait de créer de sérieuses difficultés. Aussi les deux prin­ces ont-ils été priés d'envoyer chacun 500 hommes d'armes et 300 archers mais de s'abstenir de paraître en personne. Cet ordre n'empêche pas Charles d'Orléans de rejoindre l'ost «avec toute sa puissance ». Quant à Jean sans Peur, qui a levé des troupes en Bourgo­gne, on lui fait comprendre qu'il est indésirable. Dès lors, il décide de s'abstenir, garde ses troupes autour de

lui, au cas où le cours des événements lui permettrait de tirer parti de la situa­tion, mais fait défense à ses vassaux de Flandre et d'Artois de répondre à un autre mandement que le sien.

Cependant, l'ost français est puis­sant, comptant environ 15 000 combat­tants et, malgré les ordres de jean sans Peur, des nobles de Flandre, de Picar­die et d'Artois en ont rejoint les rangs, de même que Philippe, comte de Nevers, frère du duc de Bourgogne. Mais cette armée souffre de l'absence d'un chef ayant une autorité suffisante pour s'imposer: par l'avis du vieux duc de Berry qui se rappelle la bataille de Poitiers*, il a été décidé que le roi et le dauphin Louis seraient tenus à l'écart. Les princes du sang, les ducs d'Orléans, de Bourbon et d'Alençon manquent d'expérience, mais les chefs en titre de

l'armée, le connétable d'Albret et le maréchal Boucicaut passent après eux. Forts de leur nombre, les Français sont confiants. Lancés à la poursuite des Anglais, ils veulent les enfermer dans une nasse, « comme des moutons dans un parc » et les forcer à combattre.

Henri V, comme Edouard III en 1346, se dirige vers le gué de la Blanchetaque pour y franchir la Somme, mais le pas­sage est gardé par le seigneur de jaligny, tandis que le connétable d'Albret et le maréchal Boucicaut sont déjà à Abbe­ville. La situation d'Henri V est de plus en plus préoccupante. Ses hommes sont mal en point et les vivres commencent à manquer; en outre le roi se sait envi­ronné d'ennemis. Il oblique alors vers l'est, cherchant un autre passage en amont et, le 19 octobre, trouve un gué libre à Voyennes, près de Nesle. Pen­dant ce temps, une partie de l'armée française arrive à Péronne, et l'autre franchit la Somme à Amiens. Aux envi­rons du 20 octobre, comme il semble évident que les Français vont intercepter leur adversaire avant peu, le maréchal Boucicaut met sur pied un plan de bataille dans lequel il prévoit qu'au moment de l'affrontement, l'ensemble des hommes d'armes mettra pied à terre, formant deux « ailes » devant les­quelles se déploieront tous les archers et arbalétriers disponibles. De part et d'autre de cette ligne de bataille, se tien­dront deux corps de cavalerie: à gauche et un peu en retrait, 1 000 hommes d'armes à cheval avec la moitié de tous les valets d'armes, et à droite, 200 hom­mes d'armes et l'autre moitié des valets, le premier corps étant destiné à charger les archers anglais sur le flanc et à rom­pre leur formation, et l'autre corps àopérer un vaste mouvement tournant pour prendre l'armée ennemie à revers.

Ce plan est fondé sur une tactique d'une efficacité éprouvée; le drame viendra de ce qu'il ne sera qu'incomplè­tement mis en application sur le champ de bataille d'Azincourt. Mais pour l'heure, l'ost français continue à mar­cher parallèlement à l'armée d'Henri V. Le 23 octobre, le roi d'Angleterre fran­chit la Canche à Frévent et le lende­main il arrive à Blangy. Mais déjà, les Français l'ont débordé par l'est et se trouvent maintenant devant lui, arrêtés entre Ruisseauville et Azincourt, lui bar­rant la route de Calais. Henri V s'avance jusqu'à Maisoncelles, «à trois traits d'arc» du camp français. Sa situation n'est pas bonne: ne disposant que de 7000 combattants, il sait l'adversaire supérieur en nombre et largement approvisionné alors que ses troupes manquent de tout. Cependant, il n'a pas le choix: pour gagner Calais, il doit accepter le combat.

Le lendemain, 25 octobre, les deux armées se rangent en bataille. Les Fran­çais ont choisi la défensive et adapté le plan du maréchal Boucicaut à un terrain étroit limité à l'est par le bois de Tra­mecourt et à l'ouest par le bois d'Azin­court. L'étroitesse du terrain explique que les Français aient opté pour un dis­positif en profondeur; leur armée est donc divisée en trois corps d'hommes d'armes à pied: une avant-garde, une

bataille principale et une arrière-garde. Dans l'avant-garde qui aura l'honneur de frapper l'ennemi en premier, figu­rent des princes du sang - les ducs d'Orléans et de Bourbon -, ainsi que le connétable et le maréchal. De part et d'autre de cette avant-garde, deux « ailes » d'hommes d'armes à cheval se voient assigner le rôle qui leur était dévolu dans le plan du maréchal Bouci­caut. Derrière l'avant-garde, se tient la bataille principale où figurent les ducs de Bar et d'Alençon, ainsi que le comte de Nevers.

Si on suit le récit fait par Jean le Fèvre, seigneur de Saint-Rémy, les Français ont placé, dans l'avant-garde, composée exclusivement d'hommes_d'armes, et la bataille principale, l'ensemble de leurs gens de trait, dans une position rendant leur intervention impossible dans les premiers moments de l'engagement. Faute tactique majeure qui ne laisse pas d'étonner. Enfin, en troisième lieu, se tient une arrière-garde aux ordres du comte d'Aumale. En face, c'est le maréchal d'Angleterre, Thomas Erpingham, qui fait prendre à l'armée anglaise ses dis­positions de combat; disposant d'effec­tifs réduits, il constitue une seule ligne de bataille, divisée en trois corps d'hommes d'armes  démontés:              à droite, le duc d'York, au centre le roi et à gauche le sire de Camoys. Entre cha­cun des corps et aux ailes, il place les archers et, connaissant la tactique de débordement des Français, ordonne que la ligne et les ailes soient protégées par une rangée de pieux fichés obli­quement dans le sol. Voyant que les Français ne bougent pas, les Anglais s'approchent alors à un trait d'arc et commencent à tirer sur l'avant-garde, lui infligeant d'emblée de lourdes pertes. Alors, l'aile d'hommes d'armes montés située à la droite de l'ost fran­çais tente de rompre la formation des archers ennemis par une attaque de flanc, mais cette charge est stoppée par les pieux et les cavaliers sont décimés par le tir nourri des gens de trait anglais. Rejetés en désordre, une partie des cavaliers français ayant participé à cette malheureuse attaque refluent vers les rangs de leur propre avant-garde, y jetant le désordre et la confusion.

A l'aile gauche, l'autre corps de cava­lerie qui, selon le plan du maréchal Boucicaut, devait opérer un vaste mou­vement tournant, semble n'avoir rien tenté, ce qui fait dire au héraut Berry que les hommes d'armes qui consti­tuaient cette aile « s'y portèrent petite­ment [...] car ils s'enfuirent honteuse­ment, et oncques ne frappèrent sur les Anglais ». Toute la première ligne fran­çaise semble déjà ébranlée; les Anglais profitent de ce moment critique pour se lancer à l'assaut. L'avant-garde fran­çaise est écrasée et le désordre gagne la bataille principale. Les assaillants font une moisson de prisonniers. Mais c'est alors que des faits interviennent qui font tourner la bataille au massacre pur et simple: Antoine de Bourgogne, duc de Brabant, frère de Jean sans Peur, tardivement averti, arrive sur le champ de bataille suivi d'une petite troupe; il se jette dans la mêlée et est aussitôt abattu, mais la rumeur de l'arrivée de puissants renforts français a parcouru la ligne anglaise. Or, à peu près au même moment, une compa­gnie d'hommes d'armes français tente d'exécuter le mouvement prévu dans le plan de bataille du maréchal Boucicaut et, après avoir opéré un mouvement tournant, vient frapper les arrières de l'armée anglaise. Se croyant pris à revers et en mauvaise posture, Henri V donne alors l'ordre d'exécuter tous les prisonniers sauf les princes. A la fin de la journée, le comte d'Aumale qui commande l'arrière-garde, ras­semble 600 hommes d'armes, tente une dernière attaque que les Anglais repoussent. Au soir, il ne reste plus de l'ost français que des groupes de combattants épars, en retraite ou en fuite. Le bilan est lourd, puisque envi­ron 3 000 Français ont été tués et que parmi les morts se trouvent, entre autres, le duc d'Alençon, le duc de Bra­bant, le comte de Nevers, le connétable d'Albret, l'amiral de France et le maître des arbalétriers. Parmi les prisonniers figurent les ducs d'Orléans et de Bour­bon, le comte de Richemont et le maré­chal Boucicaut.

 

Azincourt est un désastre mais, dans un premier temps, le succès des armes anglaises n'est pas suivi d'un bouleverse­ment des données politiques et militaires. Henri V, dont l'armée est exténuée, rejoint Calais et, de là, l'Angleterre où il est accueilli en triom­phateur, mais ne tire pas de profit immédiat de son écrasante victoire. Ce n'est que progressivement que les conséquences d'Azincourt seront per­ceptibles : deux ans plus tard, en 1417, Henri V, se sentant suffisamment fort pour exploiter sa victoire, débarquera de nouveau en France, menant une con­quête méthodique de la Normandie, qu'il achèvera en 1419. Son entreprise ne sera pas gênée par les réactions fran­çaises: après Azincourt, les Français n'osent plus se mesurer aux Anglais en bataille rangée et la guerre civile qui divise les princes interdit toute opéra­tion d'ensemble contre Henri V.

Bertrand SCHNERB