"Une génération nouvelle se lève, prête à consacrer ses forces au redressement du pays. Que les Compagnons de France soient les pionniers de ce redressement par leur travail, leur ardeur généreuse, leur passion de servir. " Profession de foi particulièrement agréable aux oreilles du chef de l'Etat. Mais de même qu'il avait été déçu par le scoutisme, le Maréchal ne devait pas tarder à l'être par ceux qui avaient pourtant été longtemps ses enfants chéris: les Compagnons.
Le créateur du mouvement "Compagnons" ainsi baptisé par référence au "compagnonnage" médiéval est le fils d'un ami de Jacques Chevalier, Henry Dhavernas, pour l'heure attaché au cabinet de Paul Baudouin, et qui, troquant un jour " le veston noir, le pantalon rayé et le col empesé de l'inspecteur des finances 'contre la culotte du scout en campagne 19 JO, avait été commissaire général des Scouts de France. H. Dhavernas possède à la fois un physique et une personnalité. Maurice Martin du Gard s'avoue frappé par " les yeux enfoncés d'un oiseau de proie dans un jeune et charmant visage JO. Quant à La Porte du Theil, il vante les qualités d'animateur du jeune inspecteur des finances, assurant qu' "il ferait chanter n'importe qui JO. Catholique fervent, esprit généreux et enthousiaste, H. Dhavernas est obsédé par le désir de ne laisser aucun "jeune Français en friche ", et de venir en aide à la multitude de jeunes que la défaite a jetés sur les routes de l'exode. Rassembler ces " vagabonds imberbes 20 ", leur fournir du travail et participer ainsi à la reconstruction du pays, semble à H. Dhavernas une mission à laquelle il ne peut se soustraire. La mode étant aux mouvements de jeunesse, pourquoi ne pas en créer un en vue d'accomplir cette tâche d'intérêt national? Dhavernas s'ouvre de son projet à Yves Bouthillier, Paul Baudouin, Jean Ybarnegaray et au général Weygand, qui tous l'encouragent à tenter l'aventure.
Les responsables des principaux mouvements de jeunesse, dont Andegond, chef des Jeunesses socialistes, réunis le 23 juillet 1940 dans le pavillon des gardes d'une chasse royale situé à Randan dans le Puy-de-Dôme, et prêté par la duchesse de Montpensier, donnent leur accord. Il ne faut en effet fouler les plates-bandes de personne. Des fonds importants (25 millions) sont débloqués, un siège social est trouvé dans un hôtel réquisitionné de Vichy et, le 25 juillet 1940, l'association dite: " Les Compagnons de France" JO, Le rassemblement des jeunes Français désireux de participer au relèvement matériel et moral du pays en offrant leur concours aux services d'aide aux réfugiés et aux prisonniers ".
Une " Ecole de mestres " est immédiatement ouverte à Randan, afin d'assurer la formation des futurs chefs des " camps de relèvement" que les Compagnons se proposent d'ouvrir en zone Sud.
D'emblée séduit par un mouvement qui se déclare farouchement pétainiste, le Maréchal rend visite aux Compagnons àRandan. Un chêne est planté dans la clairière qui a vu naître le mouvement. Un sac contenant de la terre provenant de toutes les régions de France et de l'Empire est remis au chef de l'Etat, en signe de l'unité française. S'adressant aux Compagnons, Pétain leur déclare: "La seule fortune que vous possédez, c'est votre travail, mais ce travail, sain et salutaire, qui fortifiera votre corps par une vie laborieuse, fortifiera aussi votre âme. En participant à la reconstruction des communes éprouvées, à la remise en état des terres en friche, vous accomplirez une œuvre patriotique, et c'est en définitive pour la France que vous travaillerez. " " Jamais, écrit l'envoyé spécial de la Gazette de Lausanne, depuis vingt ans que je suis en France, je n'ai vu pareil enthousiasme et pareil dynamisme. " Aux anges, le Maréchal quitte Randan en abandonnant 50 000 F pour l'équipement du camp.
A mesure que les compagnies se mettent en place, sous la direction de chefs cédés par les mouvements de jeunesse, les buts des Compagnons se précisent... et évoluent. "Oeuvre de sauvetage public ", le mouvement "Compagnons" se propose tout d'abord de mettre aux jeunes chômeurs " des souliers aux pieds, du pain à la bouche et de l'espoir au cœur ", en leur fournissant du travail. Or, dans un pays en ruine, le travail ne saurait faire défaut. "Les Compagnons apporteront une maind'œuvre souple, inexpérimentée, certes, mais de grande bonne volonté et dirigée par des techniciens, partout où les bras manqueront 21. " Parallèlement au travail qu'on leur offre, on s'efforce de donner aux Compagnons une formation professionnelle, afin de les " déprolétariser" en les dotant d'un métier qui leur permettra de " fonder un foyer solide ", de " connaître le bonheur" et de se sentir vraiment te des hommes ".
Mais le mouvement te Compagnons" n'entend pas seulement proposer aux jeunes " une formule alimentaire" et se contenter d'être te une amélioration sociale des bureaux de chômage 22 ". A son objectif de départ, il en ajoute très vite un autre, beaucoup plus cc politique ", visant à rassembler les jeunes n'appartenant à aucun mouvement au sein d'une sorte de "scoutisme politique 23" mis au service de la Révolution nationale. " Il s'agit, explique le maître compagnon Henry Dhavernas aux journalistes réunis à l'Hôtel du Palais à Vichy, quartier général provisoire des Compagnons, de reconstruire un ordre nouveau, s'appuyant sur les solides principes dont nous avons perdu le souvenir: le goût du travail et l'amour de la Patrie 24." Certains vont audelà, et voient dans les Compagnons la promesse d'un cc mouvement d'Etat" appelé à constituer le fer de lance de la formation idéologique des jeunes.
Comme tout mouvement qui se respecte, les Compagnons ont leur emblème, le coq de clocher, blanc sur fond rouge, ainsi qu'une cc tenue de sortie et de parade ", dont la couleur bleue est celle des marins, des aviateurs, des chasseurs alpins et ... des travailleurs. Le Compagnon porte une culotte courte en été, un pantalon de golf en hiver, une chemise à poches et pattes d'épaule, dont les manches sont retroussées à l'intérieur audessus du coude, une cravate grise ou beige et un béret basque "la coiffure de tous les Français" penché sur l'oreille droite et orné d'un coq de métal blanc. Sur la manche droite, l'insigne du grade, galons, chevrons ou étoiles. Les Compagnons se tutoient, saluent le bras levé, le coude plié et la main ouverte, puis, plus tard, pliée cc en coquille ". Ils rendent régulièrement hommage au drapeau, au cours d'une cérémonie qui " ne souffre pas la médiocrité 2S ". (Il ne s'agit en effet pas, insistent les Compagnons, "de hisser devant des badauds, sur un mât rabougri, un pavillon étriqué et impersonnel acheté au premier bazar du coin ".) Les Compagnons chantent: C'est si simple d'aimer, ou quelque "prière patriotique ", et lorsque l'un d'eux a commis une peccadille, on ne le met pas en prison comme aux Chantiers, mais on se contente de le "passer à la couverture ". Les jeunes chômeurs rassemblés par les Compagnons sont répartis entre les différentes compagnies de Chantier du mouvement. Cellesci sont autonomes et prennent entièrement en charge des jeunes de 16 à 30 ans, qu'elles font travailler sur des chantiers ouverts par elles, hébergent dans des baraquements ou sous la tente, nourrissent et habillent, et auxquels elles versent un petit pécule. Les Compagnons de chantiers se livrent à des travaux de terrassement, d'adduction d'eau, de forestage ou d'agriculture. Ils construisent des routes, curent des canaux et créent des stades pour la pratique de l'éducation physique. Après un stage probatoire de un à trois mois, le jeune apprenti prononce "l'engagement des Compagnons" : "Je me mets au service de la France et m'engage à obéir à mes chefs pour accomplir l'œuvre des Compagnons. " Le chef de compagnie agrafe alors sur le béret et la poche de chemise du nouveau Compagnon l'insigne du mouvement.
La vie de chantier est rude. Réveil: 6 h 30; extinction des feux: 22 heures. Entre les deux, six heures de travail, "couleurs " matin et soir, jeux, hébertisme et également "bain de cerveau ", le matin et à la veillée, consistant en discussions sur un "mot d'ordre ", en causeries et en exposés sur des sujets " nationaux ". Les compagnies de Chantier étant appelées à disparaître lorsque sera résorbé le chômage des jeunes, ce sont d'autres compagnies, celles de Cité, qui représentent le véritable groupement "Compagnons ". Cellesci subsisteront seules lorsque le mouvement aura atteint sa vitesse de croisière et se consacrera à sa véritable mission, qui est de propager la Révolution nationale.
Les Compagnons de Cité rassemblent, dans des groupements de 20 à 200 jeunes, des ouvriers ou des étudiants appartenant à une même "communauté naturelle": village, quartier, communauté professionnelle ou universitaire. Le but de la " Cité compagnon" est de donner aux jeunes une formation civique et morale, en affermissant leur sens national et en leur permettant de retrouver " les vertus de la race ". Il est également de mettre les jeunes au service de la communauté au sein de laquelle elle est implantée, sous la forme d'aide aux réfugiés, aux prisonniers et aux vieillards. L'action sociale des Compagnons prend parfois la forme curieusement agressive de " coups-compagnons ", actions violentes visant à réparer une injustice notoire ou à réprimer une habitude malsaine. Ainsi peut être publiquement dénoncé un patron exploitant ses ouvriers, ou une action répressive conduite contre un gros bonnet du marché noir. Inutile de dire que ces actions d'éclat, pas toujours exemptes de provocation, et propices aux règlements de comptes, ne fournissent pas que des amis aux Compagnons. Il existe enfin des compagnies itinérantes, composées d'artisans et d'apprentis qui s'en vont à travers le territoire offrir leurs services aux populations, lorsque les artisans locaux ne suffisent pas à la tâche.
Comme tous les mouvements de jeunesse vichyssois, les Compagnons sont très fortement hiérarchisés. Chacune de leurs unités est dûment pourvue d'un chef, tandis que leur appellation fleure bon le Moyen Age et la chevalerie. La cellule de base est l'équipe, composée de dix garçons. Cinq équipes forment une compagnie, trois à six compagnies une commanderie (appelée baillage par la suite.) Les commanderies sont groupées en pays (correspondant au département) et les pays en provinces: Lyonnais, Auvergne, etc., avec à leur tête un " gouverneur ". Au sommet de la hiérarchie, le maître compagnon et son étatmajor, d'abord installé à Vichy, puis, à partir d'octobre 1940, à Lyon, rue Garibaldi. Les Compagnons n'ont jamais constitué le mouvement de masse dont rêvait Dhavernas en 1940. En janvier 1943, ils gèrent quelque 90 centres assurant la formation professionnelle de 3 562 Compagnons. Quant aux Cités, elles sont au nombre de 1 300 et rassemblent 29 000 Compagnons. Ce qui représente au total 32 562 Compagnons. Rappelons que le scoutisme mobilise à la même époque plus de 250 000 jeunes. Les Compagnons sont "ardemment pétainistes ", et ils ne manquent pas une occasion de le faire savoir. " Notre âme est la Révolution nationale ", proclame Guillaume de Tournemire. Elle a un chef, le Maréchal, et une ébauche de charte, ses messages aux Français 26." Leur devise: "Unir pour servir"contient d'ailleurs les deux maîtres mots du pétainisme militant, et leurs cercles d'études s'emploient à imprégner les jeunes des idées issues des déclarations du chef de l'Etat.
Les Compagnons entendent participer activement à l'élaboration de cet homme nouveau voulu par le Maréchal. " Leurs ennemis s'appellent combine, sansgêne, resquillage, égoïsme, sectarisme, alcoolisme, mauvaise tenue. Ils tendent à donner aux jeunes Français une image jeune, propre, fraternelle, courageuse." Leur manifeste d'octobre 1940 révèle la farouche détermination des Compagnons: "Nous avons terriblement souffert. Nous souffrirons encore terriblement(...). Nous connaîtrons l'angoisse des lendemains, les soirées sans affection, les matinées sans espérance, les journées sans chaleur. (Mais) sur le chantier" France", nous arrivons en chantant, avec nos muscles neufs qui ne demandent qu'à s'employer, avec nos regards de jeunes hommes tendus vers l'avenir. Nous arrivons exigeants, durs, passionnés, volontaires, disant: on en sortira. Accrochés à vingt siècles d'histoire glorieuse, nous sommes les Compagnons de l'Espérance. " Et d'autres d'ajouter: " La Jeunesse du Maréchal ". Une jeunesse qui " ne discute pas, (qui) obéit ", et qui "applique et fait appliquer les mesures de salut public prises par le gouvernement ". Les Compagnons ne tardent cependant pas à décevoir le pouvoir en ne constituant pas la force de frappe idéologique qu'il espérait. Ils poussent même l'outrecuidance jusqu'à opérer un tri dans la doctrine de la Révolution nationale. Ayant choisi E. Mounier comme éditorialiste de leur hebdomadaire, et demandé à Pierre Courtade, futur collaborateur de l'Humanité, d'y signer des articles, les Compagnons prennent en effet prudemment leurs distances à l'égard de certaines options gouvernementales. Certes, ils condamnent le gaullisme, car c'est "un acte grave d'indiscipline (que) de combattre à la solde d'un pays étranger ", mais ils n'ignorent pas que se glisse parfois dans cette erreur " une générosité noble ". Certes, ils abhorrent le communisme, mais ils font remarquer que les travailleurs y sont parfois conduits par des conditions de vie qu'il importe d'améliorer. Si la majorité des Compagnons acceptent la Relève et le S.T.O. " Tu dois quitter la France. Pas de lamentations inutiles. Redressetoi. Affirme durant cette période difficile ta fierté de Français " , nombreux sont ceux qui trouvent "exorbitant" d'être "débauchés sur leurs chantiers pour être envoyés à l'étranger ".
Si, par fidélité au Maréchal, les Compagnons ne rechignent pas trop face à la collaboration économique et politique avec l'Allemagne, ils refusent par contre de la voir se transformer en " emprise spirituelle ".
Les Compagnons sont en outre opposés au racisme et à l'anti-sémitisme, assurant que la force de la France ne tient pas " à la pureté de son sang, mais à son unité spirituelle 30 ". Au grand dam enfin de ceux qui voient en eux l'amorce d'une jeunesse unique, les Compagnons proclament qu'ils sont "contre tout mouvement unique ou mouvement d'Etat, et tout mouvement qui voudrait ou tendrait à l'être ". D'où leur refus de participer aux Equipes nationales. Cette doctrine du "oui mais ", ainsi que la mystique de la France réelle, des pays et des cités, dans laquelle ils entendent réenraciner les jeunes, les Compagnons la diffusent par le biais de leurs actions de formation conduite dans les Chantiers et les Cités.
L'éducation "Compagnons ", dont Maurice Clavel est l'un des théoriciens les plus avertis, est bien évidemment prioritairement physique, afin de donner aux jeunes " l'harmonie du corps, la perfection et l'équilibre, l'attrait de la lutte sportive ". Elle est ensuite civique, sexuelle (pour préparer les jeunes à fonder une famille) et morale. Elle est enfin professionnelle. Les Chantiers " Compagnons JO servent à ce propos de "stage de dégrossissement et d'observation ". Les jeunes y suivent des cours de " débrouillage JO, avant d'être dirigés vers des centres de préapprentissage ou d'apprentissage agricoles ou artisanaux gérés par le mouvement. Bien parti, le mouvement " Compagnons JO devait s'arrêter en cours de route. Une première crise le secoue durement dès février 1941. S'ils sont enthousiastes, les chefs Compagnons ne sont guère gestionnaires. Leur enthousiasme même leur joue parfois des tours. Persuadés que leur mouvement est en passe de mobiliser la masse des jeunes non encore "encadrés ", ils engagent pour les accueillir et les vêtir des sommes inconsidérées. Aussi ne tardentils pas à se trouver confrontés à de très graves problèmes financiers.
Au gouvernement, on fronce les sourcils. D'autant que les Compagnons s'avisent de prendre quelques libertés avec la doctrine officielle. En mai 1941, Dhavernas doit s'effacer. Avec lui près de 400 chefs sont remerciés. Les Compagnons sont fermement invités à s'employer désormais à diffuser sans aucune ambiguïté " l'esprit de la Révolution nationale ".
Mais qui sera le nouveau "patron JO des Compagnons? Paul Marion, soutenu par l'amiral Darlan et Pierre Pucheu, entend placer à leur tête un homme à lui, susceptible de les soustraire au clan des "chrétiens sociaux" qui domine le secrétariat général à la Jeunesse. Son choix se porte sur un normalien de haute volée (encore un! les normaliens foisonnent dans les sphères dirigeantes de Vichy), Armand Petitjean, un ancien du P.P.P., ami de Drieu La Rochelle et, accessoirement, de ... F. Mitterrand (selon une lettre de Michel Caillau, neveu du général de Gaulle, citée par Catherine Nay ). L'un de ces intellectuels de choc, comme en secrète le pétainisme militant, et qui s'en va criant partout qu'avec la complicité des " démocrates-chrétiens " et des" généraux battus ", les " gaullards passifs et communards militants foncent comme des vautours sur les centres, les écoles, les chantiers, les délégations, les mouvements et le secrétariat général à la Jeunesse".
Le danger est grand pour les libéraux du secrétariat général. Petitjean à la tête des Compagnons, c'est la certitude pour eux de devenir le noyau dur de cette jeunesse unique que Marion et Pucheu appellent de leurs vœux.
Louis Garrone entre en campagne. Il parvient à écarter Petitjean et à imposer un ancien saint-cyrien, qui présente la particularité d'avoir été l'élève de De Gaulle et le plus jeune capitaine de l'armée française, Guillaume de Tournemire. Ancien spahi et compagnon de Bournazel il porte à la tempe la cicatrice d'une blessure reçue au Maroc , le nouveau c patron" des Compagnons est un catholique fervent, père de cinq enfants, et présentant, entre autres titres de gloire, celui d'avoir participé à la remise en ordre de l'université de Paris après la manifestation du Il novembre 1940.
Le 1er octobre, Guillaume de Tournemire lance à ses troupes une proclamation qui donne le ton du personnage: " Je viens de faire le tour des provinces. Tel un héritier parcourant les terres qu'il a reçues du ciel, j'ai pris la première mesure des possibilités de notre mouvement. Je voudrais vous dire, pesant mes mots, ma confiance. Je ne sais pas quelle sera la récolte; je sais, ayant déjà vécu, que les intempéries sont inévitables, mais j'ai confiance. Le bon Dieu finira par bénir nos moisons" Certains poussent le mauvais goût jusqu'à trouver cette proclamation quelque peu "féodale ". Son credo jeté au vent, le vaillant chevalier monte à l'assaut, mettant toutes ses forces au service du "recentrage" idéologique des Compagnons, ce qu'il appelle leur assainissement ". Pour éviter que le mouvement ne dérive vers on ne sait quel c ordre européen ", il convient, assuretil, de l'ancrer solidement dans c l'ordre national" du Maréchal. Et pour cela de lui faire c perdre l'habitude de discuter sur tout et, en particulier, sur ce qui ne (le) regarde pas ". Mais l'affaire n'en reste pas là. Poussé par les éternels compères Pucheu et Marion, Petitjean ne désarme pas. Il démissionne du mouvement et s'en prend à Garrone comme à Tournemire. Le secrétariat général à la Jeunesse est, selon lui, le "dernier endroit où la Révolution nationale devrait s'accomplir JO. Quant aux Compagnons, c Une fleur au chapeau à la bouche une chanson ", c'est bien gentil, mais ce n'est pas suffisant. Un couteau à la ceinture, s'il le faut, pour se battre 36 . L'animosité grandit contre les Compagnons.
Les journaux d'extrême droite se déchaînent. c Par quel miracle espèreton transformer en un organisme révolutionnaire un mouvement qui comprend 90 % d'attentistes, de revanchards et de gaullistes purs? ", écrit Marcel Glass dans Je suis partout. A nouveau, on met en avant l'incapacité des Compagnons à gérer une entreprise d'une telle importance. Le commissaire du pouvoir Bernon, qui enquête en 1943, parle de " gaspillage éhonté des deniers de l'Etat 37 ". La critique idéologique accompagne la critique administrative. Le mouvement est l'adversaire de la politique du gouvernement ".
Tous ses pavillons ne se trouvent-ils pas en berne depuis le Il novembre 1942, date de l'occupation de la zone libre par les Allemands?
A cette "crise de la pensée" chez les cadres, s'ajoute une " crise de moralité" chez les Compagnons. Celle-ci tient à leur recrutement. Il y a en effet "de tout" chez les Compagnons. Leur revue, Métier de chef, le reconnaît: " Les garçons sont de tous les acabits; il y a de franches crapules en rupture de maison surveillée, de braves garçons qui n'avaient jamais quitté leur famille, de pauvres victimes de la débâcle et d'authentiques militants. " " On ne faisait évidemment pas passer d'épreuves d'incorporation à nos Compagnons; on ne les triait pas sur le volet, et c'était parfois aux dépens des poulaillers du voisinage, des employeurs de nos compagnies ou... de la vertu des filles ", admettent les responsables. Et de fait, les Compagnons de Chantiers se conduisent parfois fort mal. Comme ceux installés dans l'ancien couvent des sœurs de SaintJoseph à SaintJeanSoleyrnieux dans la Loire, qui ne font rien et vivent de maraude. "On peut les trouver errant sur les routes, à toute heure de la nuit, liton dans un rapport de 1942. Ils achèvent de dévoyer quelques filles, et lorsqu'ils rencontrent une fille bien née, telle par exemple que la jeune institutrice de Marols, ils l'accostent et l'accablent de tant d'obscénités que cette jeune fille ne veut plus se trouver sur la route dès que le soir arrive" Les Compagnons de Saint-Jean-Soleymieux joignent la provocation à la fainéantise. Ils entonnent dans la chapelle du village les plus infâmes couplets du Ça ira, de l'Internationale et de la Carmagnole, et regardent en ricanant, " cigarette au bec (et) béret sur le crâne", passer la procession de la FêteDieu. Excédés, les paysans demandent à être débarrassés de ces " salopiauds " qui les obligent à faire ce qu'ils n'ont jamais fait: fermer leur porte à clé. C'est cela, disent-ils, " la jeunesse du Maréchal! Celle qui doit refaire la France".
"J'ai abandonné complètement les Compagnons, écrit un jeune de l'Aveyron, car ici à Espalieu, le groupe marche d'une façon qui me déplaît totalement. Plusieurs juifs s'y sont introduits et quelquesuns en qualité de chefs. J'estime qu'il y a assez de Français sans que ces juifs s'immiscent dans un mouvement qui doit être français".
En plus de cela, les éléments Compagnons d'Espalieu ont été pour la plupart recrutés parmi les jeunes dont le genre est un peu spécial en général, la moralité n'est pas très bonne et est même presque scandaleuse, tant par l'attitude que par les propos de ces Compagnons, comme cela s'est produit encore dernièrement lors d'un feu de joie qui s'est fait au foirail et où l'on a fait chanter des chansons tout à fait grivoises à de tout jeunes cadets. " Mais l'étau se resserre autour des Compagnons.
Guillaume de Tournemire intervient, sans succès, auprès de Ménétrel qu'il connaît bien, de Laval et même de Pétain. Les tables d'écoute fonctionnent à plein. Une circulaire provinciale demande de n'utiliser le téléphone " que pour des informations directes et matérielles ", et de bannir tous les " commentaires, estimations, jugements, émotions" qui, sortis de leur contexte, pourraient se retourner contre les Compagnons. Il n'est pas jusqu'aux responsables des mouvements de jeunesse qui ne finissent par trouver les Compagnons quelque peu envahissants, avec la prétention de certains de leurs chefs d'en faire le mouvement de jeunesse le plus important, voire le seul de France.
Le jour de l'an 1944, des commandos de la police et de la milice effectuent des perquisitions aux quartiers généraux des Compagnons de Lyon, Marseille et Toulouse. Vingt jours plus tard, Laval dissout le mouvement cher au cœur du Maréchal, arguant du fait qu'il se trouve pénétré par "de nombreux agents ennemis", et qu'il a "corrompu lajeunesse" en l'incitant à " des actes de diversions ". Le journal le Franciste ne cache pas sa satisfaction de voir mettre fin à " cette fumisterie que fut le prétendu mouvement Compagnons ", tandis que le Dr Kunze, responsable des questions de jeunesse à l'ambassade d'Allemagne, déclare qu'il aura la peau du commandant de Tournemire. Satisfaction qui ne lui fut pas donnée, le chef Compagnon ayant eu le temps de gagner le maquis.
Guillaume de Tournemire adresse un dernier message à " ses" Compagnons: "Le gouvernement vient de décréter la dissolution de notre mouvement ". Mais te le combat Compagnon continue ". " Malgré nos vicissitudes, nous avons à apporter un témoignage de fidélité au Maréchal, qui tient toujours en main les destinées de la France, qui continue à incarner son unité et sa mission. " Compagnons, un jour viendra où l'appel Compagnon pourra à nouveau retentir dans notre pays, car notre asservissement n'est pas définitif. Alors, vous serez tous présents et vous entraînerez avec vous, par votre ardeur, un grand nombre de jeunes Français. Nous ferons un nouveau Randan. Et le drapeau que j'ai fait mettre en berne le 26 juillet 1942 jusqu'à la délivrance de notre patrie sera monté" à bloc". " " Je compte sur vous. " Bon courage, bon travail, pour la France. "A moi, Compagnons... France !. "
L'histoire des Compagnons pétainistes est terminée. Commence celle des Compagnons résistants. Nombreux sont en effet ceux qui gagnent les maquis, et cela d'ailleurs sans attendre 1943. L'un de leurs réseaux ne pouvait mieux faire que de s'appeler " Réseau Druide ". Réseau original, né en marge de la résistance officielle et lié au réseau " Alliance" qui présente la particularité d'être probritannique et antigaulliste. Ami de Giraud, sous les ordres duquel il a servi en Afrique du Nord, G. de Tournemire n'apprécie en effet guère son rival, le général de Gaulle.
Soucieuse de préparer aux Compagnons " des compagnes dignes d'eux, de leurs efforts, de leur foi ", la princesse de Bourbon-Sicile fonde l'association " Les filles de France ".Refusant à la fois " ces jeunes filles enjouées de futilité, méprisant trop souvent l'autorité maternelle ", et celles qui demeurent "confinées et peureuses derrière les fenêtres de certaines maisons provinciales ", la digne princesse envisage une méthode d'éducation en plein air " qui chante au cœur des jeunes Françaises ". Méthode dont il se trouve peu de jeunes filles pour l'expérimenter, ce qui devait contraindre les Compagnons à chercher ailleurs leurs compagnes.