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Les Troubadours Cantaliens, XII-XX° Siècles (tome 1)  par le Duc de La Salle de Rochemaure) Majoral du Felibrige,

Bibliothèque régionaliste Bloud et Cie à Paris

Imprimé par l’Imprimerie moderne à Aurillac en 1910

 

« Une épine tournemirienne »

 

En 1888, M. l'Abbé Delmas, du Clergé de Saint­]'lour, prêtre d'une instruction solide, d'esprit très ouvert et fort curieux des choses du passé, était Curé de 'rournemire (1). Son Eglise possédait une épine de la Couronne du Christ qu'on disait avoir été rapportée dé Palestine par Rigal de Tourne­mire. Le Curé, désireux de rendre absolument incon­testable l'authenticité de cette relique insigne, demanda au Marquis de Léautoing d'Anjonny l'autorisation de faire des recherches dans ses archives. Le château d'Anjonny-Tournemire, tout voisin de l'Eglise, a recueilli une bonne partie des archives de la maison de Tournemire, depuis que Michel d'Anjonny (2) épousa, le 5 février 1643,

Gabrielle de Pestels, héritière par sa mère, née Tournemire, d'une part des biens de cette illustre maison. L'Abbé Delmas a publié l'heureux résultat de ses recherches entièrement favorables à la relique Tournemirienne, en un opuscule intitulé « La Sainte Epine de Tournemire » (3).

Au cours de ses investigations dans les archives du château de Tournemire, l'Abbé Delmas aurait trouvé deux rouleaux de parchemin, écrits partie en mauvais latin et partie en langue vulgaire du moyen âge, qui relateraient les aventures du Trou­badour Raymond de Vidal de Bézaudun. Les deux extrémités des rouleaux étant déchirées, on ne pou­vait lire ni le titre ni la signature. L'écriture était de forme ancienne, mais bien lisible, avec des enlu­minures à la plume. Bien qu'étranger à ses recher­ches, ces écrits intéressèrent le Curé par le ton piquant de certaines aventures. On ne peut que déplorer qu'il n'ait pas eu la bonne pensée de solli­citer du Marquis de Leautoing l'autorisation d'en prendre copie, ou, tout au moins, une analyse suc­cincte. Au cours de ses travaux, l'Abbé Delmas racontait ses intéressantes découvertes à son parois­sien et voisin, M. F. Delzangles, l'auteur des « Chants populaires d'Auvergne», auquel nous avons fait maints enprunts. C'est ainsi que cet écrivain a bien voulu nous résumer le récit que lui avait fait, en 1888, l'Abbé Delmas, du contenu des deux rouleaux de parchemin racontant la vie et les aventures du Troubadour dont le château de Bezauduli-Tournemire serait bien le berceau. Nous ne pouvons que reproduire fidèlement cette analyse, telle qu'a bien voulu nous l'adresser M. Delzangles:

 

Raymond de Vidal de Bézaudun est né, dans le dernier tiers du XIIe siècle, au château de Bézau­dun (Bezoudu, en dialecte Cantalien) , paroisse de Tournemire. Ce fief, mouvant du château de Tour­nemire, aurait été donné en apanage, au mmeu du XIIe siècle environ, à un cadet de la maison de Tournemire usuellement dénommé, dès lors, sui­vant la coutume du temps, <Lu nom de son fief: le seigneur de Bezaudun. Celui-ci épousa Ugualde de Vidal du Cros, dame héritière du château de Cros qui s'élevait dans le vallon entre Saint-Oernin et Tournemire (4).

 

Violent et débauché, le seigneur de Bezaudun maltraitait sa femme, lui imposant, jusque sous le toit conjugal, l'humiliant spectacle de ses amours ancillaires. A bout de forces, la malheureuse Ugualde quitta Bezaudun avec son jeune fils Ray­mond pour se retirer chez elle, au château de Vidal du Cros, où elle mourut bientôt. Elevé par .ses grands-parents, puis à l'Abbaye d'Aurillac, dit le manuscrit, l'enfant fut habituellement désigné du nom de la terre qu'il habitait; ainsi s'expliquerait que, sans renier le nom paternel qu'il porta tou­jours, il l'ait fait précéder de celui du fief maternel: Raymond de Vidal de Bezaudun.

 

Notre jeune homme, dont son père n'aurait eu cure, mort, peut-être, ou entraîné à de nouvelles aventures de guerre ou d'amour, se joignit à un groupe de seigneurs de Haute-Auvergne, allant prendre part à la troisième Croisade. Le manuscrit donnerait même les noms de ces seigneurs Auver­gnats dont il détaille longuement les qualités et les défauts. Raymond, d'humeur peu belliqueuse, pré­férant les plaisirs et les femmes, abandonna en route ses compagnons d'armes, séduit par la beauté du ciel de Provence et le bon accueil qu'il recevait partout. Il parcourut ainsi Provence et Languedoc, Catalogne et Castille, voyant grandir sans cesse sa réputation d'habile Troubadour.

On sent tout l'intérêt qu'aurait pour l'histoire médiévale du Haut-Pays d'Auvergne la publication des manuscrits du château d'Anjonny dont l'Abbé Delmas donnait cette i3uggestive analyse.

 

Cette intéressante communication nous est par­venue trop tard, à la :fin de l'impression de cette Etude, pour que nous puissions faire autre chose que de l'y consigner. Le château d'Anjonny est actuellement désert; son possesseur, le Marquis de Léautoing retenu au loin par les exigences de sa carrière militaire (5). Il est à souhaiter qu'il veuille bien autoriser les recherches dans ses archives des curieux documents qu'aurait entrevus le Curé Del­mas et leur publication qui pourrait, seule, tran­cher le débat pendant et restituer à la Haute­ Auvergne un de ses plus délicats poètes médiévaux


 
(1)  L'Abbé Delmas est mort vers 1903, à Aurillac, où il s'était retiré. Il a rempli pendant les dernières années de sa. vie les fonctions hebdomadaires de Chapelain de Clavières-Ayrens. Il nous a été ainsi donné d'apprécier son érudition, son goût d'in­vestigations au profit de l'histoire locale. Certain jardin de Tour­nemire, appelé « L'lvort d'e la salvatiou », l'avait intrigué. Des fouilles mirent à jour l'entrée d'un souterrain par lequel les assiégés du château, réduits à l'extrémité, pouvaient trouver leur « salvation » en dégue'rpissant par ce chemin de taupe. Deux souterrains partaient du château de Tournemire; l'un, à l'Est, communiquait avec le château de Bézaudun, ave.c issue sur la maison forte de La Blatte et aboutissait non loin du village de Tidarnac, commune de Laroquevieillle. L'autre, à l'Ouest, débou­chait dans les bCJis voisins du château de Marzes (Corn. Del­zangles).

 

(2) On appelle très improprement « château de Tournemire » le seul château encore debout, non loin de l'Eglise de Tourne­mire, Il n'a rien de commun avec le château de Tournemire, détruit, aussi bien que tous les autres forts avancés énumérés plus ha'ut. Ce lieu s'appelait au XIII" siècle le Puy-de-Larmandie et appartenait en 1298 à Eustache de Beaumarchais, Bailly royal des Montagnes. Sa fille le vendit à Pierre de Lavie de Villemur, lequel le revendit en 1350 à Pierre d'Anjonny, citoyen de la ville d'Aurillac. Louis d'Anjonny, Garde des Sceaux au Baillage des M_ntagnes, en fit hommage, le 17 mars 1390, à Jean de Tour­nemire, son suzerain, Louis II d'Anjonny, fils du précédent, Viguier de l'Abbaye de Figeac, obtint Je 14 février 1439, de Jean, Duc de Bourbon et d'Auvergne, l'autor.:sation de faire construire sur le Puy-de-Larmandie une maison forte à laquelle il donna son nom d'Anjonny, qu'elle a conservé, Le château actuel d'An­jonny, improprement dit Tournemire, date donc du milieu du XV" siècle et n'avait d'autre lien avec celui de Tournemire que d'en relever à titre de fief, La maison d'Anjonny de Leautoing s'est éteinte, au XIX" siècle, dans celle de Pélissier de Féligonde qui en a relevé le nom.

 

(3) Aurillac. Gentet, 1889

 

(4)  Le village du Cros, commune et canto de SaintcCernin, arr. d'Aurillac. Son château se composait de deux tours (Dict. Stat. du Cantal, T. III, P. ï6). On dit encore aujourd'hui « Lo bouorio de Vidaou )) - La ferme Vidal _. pour désigner le domaine qui dépendait jadis du château. Celui-ci a disparu, remplacé par une confortable maison bour­geoise construite avec les matériaux de J'ancien château, actuelle­ment habitée par M. Bonhomme. (Communication F. Delzangles.)

 

(5) M. le marquis de Léautoing a eu l'obligeance d'écrire à M. le Lieutenant de vaisseau de Tournemire, actuellement au Maroc. Cet Officier de Mar.:ne, qui consacre ses l()isirs à de méti­culeuses recherches dans les Archives Cantaliennes, avait étudiéavec un soin tout spécial celles du château d'Anjoiny en ,raison du haut intérêt qu'elles offraient pour J'histoire de la maison de Tournemire. Il déclare qu'il n'a pas vu au château d'Anjo,:ny ,les deux roudeaux de parchemin dont parile M. le Curé DB1mas, que rien ne lui permet de croire à >leur existence (Lettre du Marquis de Léautoing du 3 mai  1911).     L'identification de Raymond Vidal de Bezaudun, un instant espérée, apparaît, maintenant, de plus en plus.incertaine!

 

 

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